jeudi 19 avril 2018

ROYAUME UNI, XVII° SIÈCLE : L'INVENTION DE LA BOUTEILLE DITE MODERNE A PRÉCÉDÉ CELLE DU TIRE-BOUCHON



Amis lecteurs, bonjour !


Je reprends aujourd'hui un article publié il y a deux ans, il est consacré à : 
l’invention de la bouteille moderne par les Anglais du XVII° siècle.
Avant cette invention en effet, il n'y avait pas besoin de tire-bouchon : les bouteilles anciennes ne pouvaient tout simplement pas être bouchées de manière étanche...


Cet article est inspiré par la lecture du livre d'Oz Clarke
THE HISTORY OF WINE IN 100 BOTTLES
FROM BACCHUS TO BORDEAUX AND BEYOND 





Cf. ma fiche bibliographique :



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Sir Robert Mansell, Lord John Scudamore, Sir Kenelm Digby ou Captain Silas Taylor...
 aussi importants que Dom Perignon.



Ouvrons cet article par une citation d'Oz Clarke, page 41 :

"When people start talking about who invented champagne - how it became possible to bottle that foaming, lively liquid - they presume that the names will be French, led by the famous winemaker and cellar master of Hautvillers Abbey in Champagne Don Pérignon.
They don't generally reckon that equally important were Sir Robert Mansell, Lord John Scumadore, Sir Kenelm Digby or Captain Silas Taylor. These names don't have a very "champagne" ring to them. They're as English as the oak tree, and their expertise was largely with cider and perry, not wine. But above all they were crucially involved in developing the new strong style of glass called verre anglais by the French, without which would never be able to fashion a bottle strong enough to withstand the tremendous pressure - up to six atmospheres - that builds up in a bottle of sparkling wine."

Soit, en français :

"Quand les gens commencent à débattre de qui inventa le champagne - comment il était devenu possible d'embouteiller ce liquide moussant, vif -  ils présument que les noms seront Français, à commencer par le célèbre œnologue et maître de chai de l'abbaye d'Hautvillers en Champagne, Don Pérignon.
Ils n'imaginent généralement pas que Sir Robert Mansell, Lord John Scudamore, Sir Kenelm Digby ou Captain Silas Taylor étaient tout aussi importants. Ces noms ne sonnent pas très "champagne" pour eux. Ils sont "aussi anglais que le chêne"* et leur expertise concernait les cidres et poirés, pas le vin. Mais au-delà, ils étaient extrêmement impliqués dans le développement du nouveau type de verre solide appelé verre anglais par les Français, sans lequel on n'aurait jamais été en mesure de façonner une bouteille assez forte pour résister à la pression énorme - jusqu'à six atmosphères - qui s'accumule dans une bouteille de vin mousseux."

* allusion au quercus robur, chêne emblématique de l'Angleterre.

Cette citation synthétise parfaitement cette "révolution" dont parle Jean-Robert Pitte, celle de l'invention de la bouteille moderne.
Cf. fiche bibliographique :
BIBLIOGRAPHIE N° 15 : Jean-Robert PITTE LA BOUTEILLE DE VIN, histoire d'une révolution


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Marine et déforestation


Nous sommes au début du XVII° siècle. Le Royaume Uni domine le commerce européen du vin. Sa flotte nombreuse, de pêche, de commerce et de guerre, règne sur les mers.
Les verreries anglaises connaissent un développement récent et important grâce à l'immigration de verriers du continent, tels le huguenot français Jean Carré en 1567 ou le vénétien Jacob Verzelini en 1574.
Cette époque dite "moderne" est aussi celle du "petit âge de glace", refroidissement climatique ayant entraîné un recul de la limite septentrionale de la vigne. Pour cette raison, cidres, poirés et bières tendent à remplacer le vin : leur consommation augmente donc, dans le Royaume Uni comme dans l'Europe du Nord.


Le pouvoir anglais - déjà poussé dans le dos par les lobbys - se préoccupe de la déforestation du royaume entraînée par le chauffage au bois et par la multiplication des verreries : cette déforestation risque de priver la marine du bois nécessaire à la construction de ses vaisseaux, au dire des conseillers.

Ce type de crise pousse généralement à la créativité technique autant qu'à l'inventivité financière : c'est le cas ici !


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Mansell le lobbyiste


Le porte-parole des intérêts de la marine et des armateurs est Robert Mansell.



Robert Mansell, peintre anonyme
(Wikipedia)


Parlementaire, amiral, trésorier de la Marine, il est à la fois un industriel et un  affairiste, un spéculateur et un financier peu scrupuleux.
En 1615, il réussit à obtenir de Jacques I Stuart, l'interdiction de l'exportation du bois et, de fait, son utilisation par les verreries. Mais il obtient aussi parallèlement que lui soit concédé le monopole de la fabrication du verre !
Robert Mansell rachète alors de nombreuses verreries dont celle fondée à Winchester par Edward Zouche, le pionnier de l'utilisation du "charbon de terre" comme combustible. 
Mansell généralise ensuite cette technique dans les verreries et cristalleries acquises ou construites, particulièrement à Newcastle.


Scudamore, premier producteur de cidre


Contemporain de Robert Mansell, John Scudamore, est homme politique et diplomate. 
En 1618, il voyage en France et en rapporte une variété de pomme à cidre, surnommée la "Scudamore Crab" puis "redstreak", dont il développe les vergers dans le Herefordshire, faisant de cette région la première productrice de cidre dans le pays, au détriment du cidre français précédemment importé.



Redstreak apple ou Scudamore Crab
(Internet).


John Scudamore est le premier promoteur du cidre qu'il produit dans son domaine de Lacy Holme : des verres de dégustation sont gravés à son nom et aux armes de la couronne ; son cidre moussant, embouteillé et conservé dans des caves rafraîchies, plait beaucoup et concurrence les vins de Champagne au point d'être souvent qualifié de "champagne anglais".
Scudamore reste à la postérité pour avoir devancé les champenois en embouteillant son cidre.


Kenelm Digby, inventeur de la bouteille moderne


Kenelm Digbyné en 1603, est un bel esprit, passionné de sciences et d'alchimie (cf. sa "poudre de sympathie").
Ami de Descartes et Fermat, il mène une vie d'aventurier excentrique. Il est papiste, mais proche de Cromwell, au point d'être emprisonné en 1642 et de connaitre l'exil jusqu'à la Restauration, nouvelle période faste qui le verra contribuer à fonder la Royal Society.



Kenelm Digby by Van Dyke
( National Portrait Gallery in London).


Vers 1630, il oeuvre dans une verrerie à "charbon de terre", propriété de John Winter, dans Forest of Dean à Newnham on Severn, à proximité des lieux de production des cidres et poirés. 
Là, il peut mettre en pratique les perfectionnements qu'il avait imaginés à Londres déjàL'idée d'accroître le tirage par la création d'un tunnel de soufflerie lui permet d'augmenter la température du four ; ses recherches sur l'utilisation du charbon de terre et sur les proportions des composants du verre : sable, potasse, chaux... lui permettent de produire un verre résistant, de couleur très foncée ou "black glass", lequel préserve les liquides contenus de l'action de la lumière.



Bouteille "shaft and globe", vers 1650.
"Black glass" typique de la production de Kenelme Digby
(Oz Clarke, p. 40).


Digby travaille aussi sur les formes : 
- ses bouteilles sont "globulaires" ou "shaft and globe",
- leur base enfoncée les rend stables,
- elles sont munies d'un goulot renforcé par une collerette ou "string rim" permettant de ligaturer un bouchon pour contenir la pression du contenu,
- et cette collerette permet aussi un bouchage au liège avec utilisation d'un maillet (même si dans un premier temps Digby préconise le bouchage au verre émerisé).
Pendant son exil, d'autres essaieront de s'approprier son invention avant que le Parlement ne lui en attribue définitivement la paternité en 1662.


Silas Taylor, pionnier de la mise en bouteille


Le Captain Silas Taylor, enfin, est propriétaire d'une cidreraie dans le Herefordshire.
En juillet 1662, Taylor, devant la nouvelle Royal Society - dont Kenelm Digby, on l'a vu, est un des fondateurs en 1660 - décrit la mise en bouteille et la conservation en cave dans de l'eau fraîche, procédés qui selon lui gardent le cidre moussant et de couleur vive.
Le procédé permet donc de garder toute l'effervescence d'une boisson, laquelle n'est pas encore le champagne, mais le cidre.


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Nous assistons à une conjonction d'actions pour aboutir à la bouteille moderne dont le succès ne s'est plus démenti.
Oz Clarke a raison : les acteurs présentés ici sont des maillons importants dans l'histoire de la bouteille. La limite est cependant qu'il ne s'agit pas encore dans l'esprit de ces pionniers d'y conserver le vin.
Nous sommes encore au XVII° siècle : il reste à franchir une étape pour loger dans notre "bouteille moderne", non plus du cidre ou du champagne, mais du vin tranquille.

Le tire-bouchon est déjà en gestation...


M



Sources :

THE HISTORY OF WINE IN 100 BOTTLES 
par Oz Clarke

LA BOUTEILLE DE VIN 
Histoire d'une révolution 
par Jean-Robert Pitte

Wikipedia : 
Early modern glass in England 
John Scudamore, 1st Viscount Scudamore

http://www.gsia.org.uk 
Jim Chapman The cider industry and the glasss bottle

http://vignobles.dubourg.over-blog.com/ 
Histoire de la bouteille de vin. History of wine bottle

http://www.englishsparklingwine.co.uk/
Did the British invent Champagne?


3 commentaires:

  1. Merci pour ton article, bien intéressant. Quant à la bouteille qui l'illustre, elle tout simplement fantastique.

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  2. Merci pour le commentaire sympa. D'autres articles consacrés aux bouteilles anciennes suivront.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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