vendredi 17 juin 2022

VERRE DE PRESTIGE ET VERRE D'USAGE

 
Amis lecteurs, bonjour !


Les brocantes suivent et se ressemblent... ou bien pas tout à fait !

Nos pérégrinations nous ont emmené le week-end dernier vers les vide-greniers de petits villages meusiens. Notre espoir était d'y trouver autre chose que des fripes, des jouets ou du plastique, même si nous comprenons bien l'utilité sociale des ventes de "seconde main", utilité encore plus manifeste en ces temps d'inflation.

Notre pêche a été modeste, mais nous y avons trouvé au moins de quoi nourrir cet article sur 

le verre : verre de prestige, verre d'usage.




Notre "pêche" du week-end.


Nos trouvailles : un ZIG-ZAG, un type "COMMERCIAL", une pipette coudée, un flacon, une bouteille soufflée et un pot à moutarde AMIEUX FRERES.


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Notre région de Lorraine est depuis le Moyen-Âge une région de maîtres-verriers : 
- cristalleries et verreries d'art de Baccarat, de Saint-Louis, de Vannes-le-Châtel..., avec leurs nombreux ouvriers et ouvrières, et leurs talentueux créateurs : Daum, Muller, Schneider... 



Cartes postales anciennes (eBay, Delcampe)


- mais jadis aussi verreries d'usage en Argonne, où la dernière fabrique, aux Islettes, ferma en 1937.


Les Islettes - La verrerie

Comme toutes les verreries établies dans les immenses forêts d'Argonne, telles celles de La Vignette, de La Chalade, ou celles installées dans la vallée de la Biesme, la verrerie des Islettes (bocaux "L'Idéale") s'était elle aussi établie là en raison de l'abondance des matières premières : gaize siliceuse, argile, fougères, ainsi que du combustible : le charbon de bois. On y fabriquait du verre plat (vitres et miroirs), des bouteilles, des bocaux, des cloches de jardin...

Notre bouteille peut-elle provenir de l'une de ces verreries ? Ce n'est pas à exclure : selon le Musée du Verre d'Argonne, à partir du XVIIe siècle, les verreries s’installent dans les vallées et se spécialisent dans le soufflage des bouteilles fortes dites "argonnaises" puis "champenoises" et, dans une moindre mesure, des cloches de jardin et des bocaux.


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Mais notre propos est ailleurs.
Evoquons un instant le rare petit pot en verre fin XIXe siècle et son inscription MOUTARDE AMIEUX FRERES. 





Dans un excellent état de conservation, le pot, on le voit, est encore muni de son tire-bouchon incorporé : un anneau logé dans le bouchon de liège.
Et puis, oublions nos autres objets : les tire-bouchons ou la belle pipette en verre soufflé, pour nous attacher à notre bouteille et à notre flacon


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Notre belle bouteille, de type champenoise - ou argonnaise - date du XVIIIe siècle. 
Sa couleur indique une fabrication dans une verrerie fonctionnant à la houille ; l'irisation, très appréciée des collectionneurs, est due à la corrosion du verre au fil des siècles. 
Elle a été soufflée, comme le montrent les stries très nettes au niveau du col et a été foncée au pontil (traces de casse) ; le col est muni d'un cordon de verre rapporté, destiné à ligaturer un bouchon pour contenir la pression interne. 
C'est une bouteille pansue, haute de 28 cm de haut, pesant environ 900 g et contenant environ 680 ml, sensiblement moins donc qu'une pinte de Paris (952 ml).
Bouteille pour le champagne donc, mais bien fragile cependant !

Le flacon, lui, gardera plus de mystère encore.
De forme rectangulaire, il est fait de verre ou de cristal gravé. Le graveur a réalisé un décor floral important sur les deux faces principales, par taille et gravure : le décor est de grande finesse et comporte les petites irrégularités gages d'un travail artisanal. L'objet ainsi décoré correspond certainement à un cadeau de valeur destiné à une personne noble ou bourgeoise. Il devait contenir quelque liquide précieux, une liqueur peut-être ?
Le flacon comporte un embout scellé sur lequel est vissé un bouchon en étain. L'orifice est étroit, son diamètre est d'environ 9 mm. Ce type de bouchage conduit à le dater antérieurement au XXe siècle, sans plus de précision.
Il est haut de 19,5 cm, bouchon compris, pèse 645 g et a une contenance d'environ 540 g ou 500 g au haut des épaules : si cette dernière contenance n'est pas fortuite, la datation pourrait peut-être être précisée pour correspondre au XIXe siècle et à la mise en place du système métrique.


Mais pourquoi distingue-t-on ainsi entre bouteille et flacon ? C'est l'occasion de reprendre et développer un point évoqué dans mon livre.  


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Bouteille et flacon


C'est à François Rabelais que l'on doit cette distinction entre bouteille et flacon. La formule date de 1534 et est issue du Gargantua, Livre I, Chapitre V, in Les Propos des Beuveurs.
Voici l'échange dans la forme conservée du XVIe siècle.

Un des "beuveurs" pose une question :
Quelle différence est entre bouteille et flaccon ?
Et l'autre de répondre :
Grande, car bouteille est fermée à bouchon, et flaccon à vitz.

Bouteille est fermée à bouchon et flacon à vis... la formule devient très vite un apophtegme, repris partout et par tous.

Relativisons cependant :
Pendant tout le Moyen-Âge, les bouchons, faits d'étoupe ou de paille, servent à boucher des trous ou à bouchonner des chevaux. 
La bouteille, qu'elle soit faite de verre, de bois ou de grès, est simplement protégée par un tampon (ou tapon) d'étoffe, de papier ou de fibres végétales. Ce bouchage est destiné à protéger le contenu de la bouteille le temps d'un voyage qui ne va que de la cave à la table.
La bouteille de Rabelais ne nécessite pas encore de fermeture hermétique.
Mais c'est de ce manque que viendra un siècle plus tard l'invention de la bouteille dite moderne : une bouteille pouvant être bouchée hermétiquement au liège, particulièrement pour contenir des liquides effervescents : cidres, bières ou champagne.

Le flacon au contraire, et depuis l'Antiquité, est destiné à voyager loin. Objet luxueux, il est destiné à contenir des liquides précieux ou dangereux : parfum, liqueur, potion ou... poison.
Il nécessite donc une obturation hermétique : bouchon de verre émerisé ou bouchon à vis sont de bons moyens pour obtenir ce résultat.



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L'analyse nous aide à mieux comprendre la citation de Rabelais, spécialiste des flacons s'il en fut ! Rappelons qu'il a exercé comme médecin dans notre bonne ville de Metz.

Et nos vide-greniers du week-end auront au moins eu le mérite de nous proposer une réflexion sur verre de prestige et verre d'usage.



M

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