vendredi 20 novembre 2015

VIGNE ET VIN EN BOURGOGNE : UN LIVRE DE 1725 FORT INSTRUCTIF...




Amis collectionneurs, bonjour !



Pas de tire-bouchon aujourd'hui, mais la lecture partagée d'une dissertation de 1725 consacrée à la Bourgogne et à ses vins.




On trouve cette dissertation dans un livre numérisé et accessible sur le site de la BNF :
gallica.bnf.fr/


Il s'agit d'un court ouvrage paru en 1725 et/ou 1728 :
Titre : Dissertation sur la situation de la Bourgogne, sur les vins qu'elle produit, sur la manière de cultiver les vignes, de faire le vin et de l'éprouver... 
Auteur :  Arnoux, Claude (1695-1770), précepteur des fils d'un noble anglais J. Freeman, Esq.
Livre imprimé et vendu à Londres.



Une dissertation écrite pour un public anglais...
(Gallica)


L'exercice est ancien donc, mais, destiné à l'aristocratie anglaise, il est très instructif.


-/-


La Bourgogne et son vignoble

Le livre s'ouvre sur une description de la Bourgogne ; Claude Arnoux nous rappelle que Beaune, c'était autrefois Bibracte, capitale gauloise des Éduens. arrosée par la "rivière de Bourgeoise".


Les célèbres Hospices de Beaune (Wikipedia) 


En fin connaisseur l'auteur délimite le vignoble pour en isoler les collines de haute Bourgogne, seul terroir susceptible à ses yeux de produire le vrai Vin de Bourgogne, exportable "dans la "grande Bretagne, dans les cercles de l'Empire, & dans les païs bas" :



Page 14 : "le seul Vin qu'on puisse et doive appeler le Vin de Bourgogne"



-/-


La culture de la vigne et les superstitions

Claude Arnoux décrit "la manière dont on y cultive les vignes, & dont on y fait le Vin". : amendement des sols, remplacement des ceps ("provins" ou provignage), bêchage, taille,  palissage sur échalas, binage...

Il se moque au passage des superstitions paysannes : "dès qu'il y a des nuits calmes & froides, les Paysans superstitieux courent dans les Eglises, ou ils sonnent les cloches de toutes leurs forces, s'imaginant, ou que Dieu a égard à cette oeuvre de Religion, ou que l'agitation qu'elles font dans l'air peut en quelque façon réchauffer l'air ou faire changer le Vent..." 
ou plus tard : 
"quand l'air semble menacer du moindre orage, ils ont recours à leurs cloches, & les Prêtres à leur patenôtres, qu'ils ne récitent, que dans la crainte que le peuple ne s'émût contre eux au cas où il tomberait de la grêle pendant qu'ils ne seraient pas à cet exercice de prières." 

Le rôle déterminant des magistrats de Beaune est décrit : ce sont les seuls habilités à décider des dates de vendanges, Beaune commence, Volnay suit, puis Pommard...


-/-


Les unités de mesures bourguignonnes

L'auteur s'émerveille des grandes quantités vendangées en quatre ou cinq jours, de l'apport de main d'oeuvre de partout alentour.
Et le passage nous renseigne sur ces quantités, mais aussi sur les mesures alors en usage en Bourgogne :



Pages 26-27 : quantités vendangées et mesures en usage.


A quoi correspondent aujourd'hui les vingt mille queues de vin vendangées annuellement au début de XVIII° siècle ?

En 1725, nous dit Claude Arnoux :
1 queue = 2 poinçons = 2 demi-queues = 2 tonneaux
1 queue = 4 feuillettes = 4 cabillons (terme déjà rare en 1725 et disparu depuis)
1 queue = 500 bouteilles
1 queue = 480 pintes de Paris.

La pinte de Paris équivaut alors à environ 0,93 litre.

La contenance d'une bouteille bourguignonne équivaudrait donc à environ 0.89 litre, selon les dires de Claude Arnoux.
La queue de Bourgogne, équivalente à 480 pintes de Paris correspondrait à 446 de nos litres, selon le même.

Ces correspondances doivent cependant être prises avec précaution : on sait que sous l'ancien régime, les mesures variaient considérablement d'une région à une autre, d'une ville à une autre...

Vingt mille queues de vin correspondraient selon les mêmes critères de conversions à 8 920 000 litres, ... 89 000 hectolitres (contre 1,5 million d'hectolitres aujourd'hui, mais pour toute la Bourgogne).


-/-


L'élaboration du vin

La dissertation se poursuit par un descriptif de l'élaboration du vin, selon qu'il s'agit de raisins "noirins" (pinot) ou "gamés" (gamay), selon les villes et selon les "cantons" (climats, clos) : cuvage, foulage, pressage, fermentation, mise en tonneau..., en mettant en garde les courtiers et commissionnaires contre les mauvaises pratiques.


Pages 27-28 : Facteurs de qualité,
le choix et le respect des cantons, nos climats...


Les "cantons" du XVIII° siècle préfigurent les"climats" du vignoble de Bourgogne, "climats" aujourd'hui inscrits au Patrimoine mondial dans la catégorie des "paysages culturels" comme œuvre conjuguée de l'homme et de la nature.


-/-


La dégustation et le négoce : petites bouteilles et étiquettes

Les tonneaux sont à peine scellés, nous dit l'auteur, qu'arrivent les commissionnaires, intermédiaires obligés entre clients et vignerons :
"on voit à Beaune des marchands de toute l'Europe"... 
"les commissionnaires et leurs gourmets font les épreuves des vins, quoiqu'ils ne soient pas encore potables"... 
"ce sont de connaisseurs qui d'ancienneté, & de père en fils ont des expériences certaines de toutes les cuvées, qui connaissent les climats, les clos, & les cantons [...] & tous les bons celliers".

Claude Arnoux nous explique les techniques de dégustation et de choix par les commissionnaires, particulièrement l'usage de prélèvements dans des petites bouteilles ou "essays".


Pages 30-31 : une petite bouteille nommée "essay"

Les vins testés sont donc mis en bouteilles, ce sont des "essays".
Vin + bouchon => tire-bouchon, non ?


Je retiendrai surtout ici l'attestation d'une première
utilisation de l'étiquette dès 1725
soit 70 ans avant l'apparition des étiquettes imprimées d'Aloys Senefelder (1796) !



1725, des bouteilles "essays" étiquetées !


Le chapitre se clôt sur les garanties mises en place par les magistrats de Beaune pour éviter que les commissionnaires ne trichent sur les prix et aussi pour éviter les contrefaçons des vins de Bourgogne.


-/-


Un classement des vins de Bourgogne

Claude Arnoux propose ensuite une classification détaillée des vins de Bourgogne, entre :
- vins de primeur : Volnet (Volnay), Pomard (Pommard), Beaune, Alôsse (Aloxe), Pernand, Chassagne, Savigny, Auxey,
- vins de garde : Nuis (Nuits), Vougeot, Chambertin, 
- et vins blancs : Mulsant, Puligny, Morachet (Montrachet), Chablis et Auxerre mis à part.


-/-


L'expédition du vin en bouteilles

La dissertation de Claude Arnoux à l'usage des nobles anglais se termine par une recommandation sur l'expédition du vin et sur le coût de ce vin rendu à Londres.
Comment parer le risque de vol dans les tonneaux dont sont coutumiers les voituriers ? L'auteur recommande l'expédition en caisses de bouteilles.


Page 48 : Envoi en "quaisses de bouteilles", 
par l'Yonne et la Seine, ou par voie terrestre.



Nous ne sommes pourtant qu'en 1725 et Louis XV n'autorisera le transport du champagne en bouteille qu'en 1728 !
Une fois encore la pratique avait donc précédé le cadrage juridique ?


J'espère que vous aurez éprouvé le même intérêt que moi à la lecture de ce livre trop méconnu.
Je mets pour ma part la note maximale à cette dissertation.

Et si on n'y voit pas de tire-bouchons, nul doute qu'ils aient déjà été là, dans les poches de chaque commissionnaire notamment !



M















3 commentaires:

  1. Cher ami Marc, comme d’habitude, un excellent article! Puis, votre conclusion me semble évidente…Et je le crois depuis longtemps ! Quand on interdit une chose c’est parce qu’on a déjà essayé de la faire… Alors à mon avis c’est évident, au contraire de ce que beaucoup de personne ont tendance à répéter, qu’avant 1728, même en France, on avait déjà mis du vin en bouteille ! Puis, si on transporta déjà des vins mis en bouteille, c’est aussi évident qu’on avait déjà des tire-bouchons.

    geral@museudosacarolhas.com

    RépondreSupprimer
  2. Ouvrage extraordinaire de 1728, qui est injustement méconnu, même des spécialistes. Il présente aussi la première carte connue (grossière !!) du vignoble de la haute Bourgogne...
    Quelques remarques cependant :

    -L'identification de Beaune avec le Bibracte antique est une pure invention de l'Abbé !!
    -Ses pages sur les "essays" (flacons-échantillons de vin à la récolte) sont les plus passionnantes et riches d'informations jamais éditées par ailleurs...
    Quel(s) autres livres en parlent après Claude Arnoux ??
    -Ces essays sont des bouteilles miniatures, un peu comme les mignonnettes d'alcools et vins des années 1900 et +. Ils sont de très faible contenance, sans doute 7 ou 8 à 12 cl environ (moins d'un verre dit ballon).
    -Ces essays ne servaient que d'outils de travail aux négociants et commissionnaires en vins fins, qui prélevaient en cave, puis transportaient ces flacons chez eux pour les examiner et goûter/tester les vins avant décision définitive d'achat chez les vignerons visités.
    -On sait que ces flacons pouvaient aussi voyager par la Malle-Poste, dans des caissettes cloisonnées ad hoc !
    -la mention de l'identification de chaque prélèvement par une "étiquette" descriptive (manuscrite) attachée à l'essay est effectivement la plus précoce que je connaisse. Elle précède de très loin l'apparition de l'usage, sur le marché, d'étiquettes commerciales "imprimées", collées sur les bouteilles au XIXème,
    -J'ai la preuve que des étiquettes précurseurs de vin sont utilisées dès avant 1815 en Bourgogne (Beaune), pour des envois de caisses de bouteilles vers certains Etats allemands,
    -Je soutiens l'hypothèse plausible que les premières étiquettes lithographiées (rarissimes avant 1830/40) ont été sensiblement précédées en France par des étiquettes plus sommaires, simplement typographiées en noir sur papier à la cuve (à base de chiffons de coton).
    Echangeons nos informations sur ces sujets vineux encore trop mal partagés ...

    RépondreSupprimer

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...