vendredi 6 janvier 2017

WHO'S WHO DE L'HELIXOPHILIE : T... COMME HANS JOACHIM TÜRLER






Amis hélixophiles, bonjour !



Le collectionneur nécessaire 
de la semaine pour notre rubrique : 

le Who's Who de l'hélixophilie 

est Suisse. Il s'agit de :




Hans Joachim TÜRLER, 
Hajo, pour ses proches.



Hajo est comme un trait d'union entre collectionneurs issus de pays différents : hélixophile polyglotte, il est savant, sage et bienveillant !
Lui aussi a accepté de se prêter au jeu de nos questions, pour le plaisir des collectionneurs, anciens et nouveaux, et plus largement de tous les lecteurs du blog. Qu'il en soit remercié !



Un citoyen européen


Question : Pouvez-vous vous décrire en quelques mots : origines, lieu de vie, situation familiale, parcours d’études, profession exercée et secteur d’activité...?

Réponse : Je me présente en bref : Hans Joachim Türler - appelé Hajo par mes amis - un Suisse exilé, après sa retraite de chimiste à Zurich, dans le midi de la France, avec sa collection de tire-bouchons.

J’ai passé mon enfance à Lucerne, en Suisse alémanique. C'est là que j'ai grandi. J'y ai suivi ma scolarité passant mon temps libre avec les scouts et pratiquant le sport alpin, le ski en hiver et la varappe en été, car les montagnes étaient devant la porte de la maison. Après le bac, j’ai étudié la Chimie à l’Ecole Polytechnique de Zurich. J’ai terminé mes études avec le degré d’un Docteur en Chimie. 
J'ai commencé ma carrière professionnelle comme chimiste de recherche dans une société de produits chimiques pour le bâtiment à Zurich. Après quelques années on m'a confié la gestion de la production et j'ai fini comme directeur d’usine et partenaire associé.  
Après ma retraite, je me suis engagé dans le secteur de normalisation des matériaux du bâtiment, ce qui m'a donné l’occasion de voyager dans les plus importantes villes européennes, Londres, Berlin, Bruxelles et Paris... ainsi s'est ouvert pour moi un immense terrain de chasse aux tire-bouchons ! 
Pendant un voyage de vacances en 1987 dans le Midi, je suis tombé par hasard sur une petite maison dans un village de l’arrière-pays, que j’ai achetée par un coup de foudre comme maison de vacances.
Quelques années plus tard une ancienne bastide à côté, délabrée, mais bien située, fut mise en vente et la foudre me frappa une deuxième fois ! Je l'achetai et passai deux ans à la restaurer avec l’aide d’un maçon, à la fois maître d’ouvrage et ouvrier. 
Et aujourd’hui je suis installé là avec ma chère Anneliese et mes tire-bouchons.
J’ai une fille en Hollande et un fils en Suisse, peut-être susceptible de reprendre ma collection un jour et de la transmettre à mes petits-enfants ?



Une quête technologique, 
mais du neuf vers l'ancien


Q. A l’origine d’une collection, il y a généralement un événement déclencheur : qu’est-ce qui vous a amené à collectionner les tire-bouchons ?

R. L’objet déclencheur a été un tire-bouchon à pignon et crémaillère exposé dans la vitrine d’une quincaillerie à coté de la Maison Carrée de Nîmes.



le "tire-bouchon à pignon et crémaillère 
exposé dans la vitrine d’une quincaillerie".




Comme tout le monde, nous possédions à la maison, à part des T simples, deux ou trois tire-bouchons mécaniques à rotation ou à leviers pour l’usage quotidien. Mais je trouvais ce modèle beaucoup plus intéressant et du coup j'ai commencé à m'arrêter devant toutes les quincailleries ou boutiques de marchands de vins, pour y trouver d’autres systèmes, toujours des outils modernes, pour l’usage dans mon ménage. 
Je découvris plus tard que les modèles anciens étaient encore plus attirants. Alors vint le temps des visites aux brocanteurs, celui des marchés aux puces et autres vide-greniers où je commençais à faire de belles découvertes. 
Intéressé par la technique en général, j’ai été d'emblée fasciné par l’ingéniosité, la diversité et le grand nombre de systèmes de tire-bouchons.


Q. Un livre et une exposition vous ont bientôt fait franchir un nouveau palier...

R. Oui Marc, c'est quand je suis tombé par hasard sur le livre "Korkenzieher" de Manfred Heckmann. 




Un livre précurseur muni d'un tire-bouchon marque-page...


Manfred Heckmann y classait méthodiquement les tire-bouchons en 12 catégories ; je me fixai aussitôt un premier but : celui de posséder un exemplaire dans chacune de ces classes. Mais avant d’être arrivé là, j’avais déjà quelques douzaines d’exemplaires...

Une exposition de tire-bouchons de collection à Zurich en 1990 me donna le coup final. Elle était tout à fait à mon goût, proprement divisée par systèmes. 
Et le lendemain, je me suis retrouvé par hasard sur la photo du vernissage dans le journal de Zurich ! 



Hajo ne pouvait nier !


Des amis m’ont envoyé la coupure du journal en me demandant ce que je pouvais bien faire parmi ces collectionneurs de tire-bouchons. Et c'est ainsi que je me fixai mon deuxième but : devenir l'un d’entre eux.

Il faut que je vous dise que cette exposition était entre autres organisée par notre membre du CFTB, Wolfgang Händel. Merci Wolfgang, de m'avoir permis de prendre exemple sur toi !



Le tire-bouchon préféré d'Hajo : le Shrapnel !


Q. Combien de tire-bouchons estimez-vous avoir possédés ? Et quel est celui que vous avez préféré ?

R. Ma collection comprend environ 2000 exemplaires. 
Dont à peu près la moitié mécaniques, le reste se partageant entre tire-bouchons en T, de poche, sans mèche, outils de champagne, outils de caviste et bouchonneuses.
Comme dans la plupart des collections, j’ai des tire-bouchons importants, rares, voire uniques, mais aussi pas mal de pièces de moindre intérêt.
Mon tire-bouchon préféré, c’est le Shrapnel, un des plus rares tire-bouchons anglais. Il est le premier de la famille des tire-bouchons à poignée bivalente. En repliant le levier on libère le filetage dans sa poignée et en tournant la poignée « moulin à café » le fût remonte à l’intérieur de celle-ci. Génial !




Le Shrapnel est marqué 
I.N.S. SHRAPNEL PATENT et T. CUTLER MANUFR


Ce tire-bouchon n’est pas seulement intéressant par son mécanisme original, il l'est aussi par l’histoire de son créateur.
C’est Henry Needham Scrope Shrapnel (1812-1896), installé à Gosport, une ville sur la côte sud de l’Angleterre, qui obtint un brevet anglais pour ce tire-bouchon le 26 septembre 1839, sous le n° 8224.
Son père, Henry Shrapnel (1761-1842), officier de l’armée britannique était l’inventeur du shrapnel, aussi appelé « obus à balles », lequel sera largement utilisé pendant la Première Guerre Mondiale. Il dépensa tout sa fortune personnelle pour le développement de sa grenade, mais le gouvernement ne voulut pas lui accorder la récompense promise. Sa famille tomba dans la plus grande pauvreté, un de ses fils étant même mis en prison, parce qu’il ne pouvait pas payer ses dettes. 
L’aîné, Henry Needham Scrope (1812-1896), éduqué à l’université de Cambridge, quitta la famille en état de pauvreté. Il s'engagea et devint capitaine de garde et commandant de caserne en Irlande, aux Bermudes, à Halifax et à Montréal et eut 15 enfants. 
Il semble qu’il ait hérité l’esprit d’inventeur de son père, mais il ne fut jamais artisan ou industriel. Le fabriquant du tire-bouchon était un certain Thomas Cutler, qui produisait entre autres choses des mouchettes brevetées, des casse-noisettes et des jouets en fer.

Le tire-bouchon est orné de deux gravures énigmatiques : une tête de sanglier d'une part et un sanglier dans une couronne d'autre part Il s'agit très vraisemblablement d'armes de familles nobles voire royales, mais il n'a pas encore été possible de les attribuer.


Q. Avez-vous une préférence pour une ou des catégories de tire-bouchons ?

R. Mon intérêt principal va vers les tire-bouchons mécaniques de table, de cuisine et de bar. 
A part ça, je collectionne aussi les outils de caviste comme les bouchonneuses et les outils de champagne.
Je n’ai presque aucun objet du XVIIIe siècle ou en matière précieuse, car je n’y connais rien. 


Où  chiner ? Partout, 
et surtout rejoindre les clubs de collectionneurs !


Q. Vous recherchez donc l'art populaire plus que les objets précieux. Mais quels lieux ont votre préférence pour acheter des tire-bouchons et lesquels conseilleriez-vous aux nouveaux collectionneurs : salles de ventes, antiquaires, brocantes, Internet...

R. Quand j'ai commencé à collectionner les tire-bouchons il y a 50 ans, on ne les trouvait que sur les puces et vide-greniers, chez les brocanteurs, les marchands d’antiquités et les bric-à-brac. 
Plus tard une source importante fut l'organisation des ventes aux enchères chez Christie’s à Londres.
Malheureusement Christie’s a abandonné les ventes de tire-bouchons, car même si les tire-bouchons coûtaient quelques centaines ou milliers de livres sterling, ce qui était beaucoup pour nous collectionneurs, ce n’était rien pour eux, par rapport aux millions que pouvaient rapporter les tableaux par exemple.
Aujourd’hui les ventes sur des marchés virtuels, Ebay et Collectorcorkscrews ont détrôné, même remplacé les brocantes. Mais les marchés à Londres, surtout Portobello Road, sont toujours intéressants.
Pour ce qui me concerne, les sources les plus intéressantes sont les ventes et échanges lors des rencontres des différents clubs. L' ICCA et le CCCC, en effet plus Américain que Canadien, sont très internationaux, tandis que les clubs européens comme le VKF, club allemand, le AICC, club italien et notre CFTB sont plus concentrés sur leurs pays.
Je conseille aux jeunes de rejoindre autant de clubs que possibles et d’essayer de surmonter les barrières de langues. Il est vrai que j’ai la chance de parler quatre langues, ce qui me facilite la communication. 


Q. Le phénomène majeur de notre génération est l’irruption du numérique dans notre quotidien. On vous sait attaché  au classement rationnel : utilisez-vous l’informatique pour classer votre collection ? Et si oui, comment ?

Je pense avoir été un des pionniers de l’utilisation de l’ordinateur pour classer et documenter mes tire-bouchons. Depuis les années 90 je me sers d’un programme nommé Filemaker, qui marche sur Mac et PC. 
Je répertorie la classe, le nom, une courte description, les dimensions, le fabricant, des références et lieu et prix d’achat, et naturellement une photo de chaque pièce. Les photos qui sont aussi chargées sur mon smartphone m’aident sur les marchés de puces en cas de doute, à vérifier si je possède la pièce ou une variante ou pas encore.

J’ai eu aussi le plaisir de collaborer au développement de la documentation SCREWBASE, qui couvre les mêmes critères y compris photos et qui inclut la possibilité de répertorier ses propres tire-bouchons. Screwbase a été établie en 2000 avec quelques milliers et comprend aujourd’hui plus de 10000 pièces. 



La belle rencontre


07. Pouvez-vous nous raconter une anecdote qui a marqué votre vie de collectionneur : rencontre, scène de vie, trouvaille inespérée... ?

Un des plus importants événements dans ma vie de collectionneur a été une rencontre à Londres après une vente de chez Christie’s. En faisant la queue devant la caisse – on payait tout de suite en cash - j’ai entendu parler français derrière moi. J’ai osé m’adresser à ce client, qui s'est présenté comme collectionneur français. Le monsieur fut étonné d’apprendre que j’habitais en France et de fil en aiguille nous avons commencé à parler tire-bouchons. Il me fit part de l’existence d’un club de collectionneurs français et il m’invita à rejoindre ce club et me laissa ses coordonnées : il s'appelait Guy Olive ! Mon cher Guy, je te suis toujours reconnaissant de ce que tu m’ais ouvert la porte d’entrée dans le monde des tire-bouchons français.




Plutôt étudier que collectionner...


Q. Quel sens revêt pour vous votre collection : un challenge personnel ? un sujet d’études ? un investissement ? une occasion de rencontrer des gens partageant votre passion ?...

R. Il existe un large éventail de façons de collectionner des tire-bouchons. Pour moi comme ingénieur, les tire-bouchons sont en premier ordre un sujet d’études. Intéressé par la technique en général, j’ai toujours été fasciné par le grand nombre de systèmes de tire-bouchons, qui ont tous un simple but : ouvrir une bouteille. Et là, comme déjà mentionné, l’orgueil personnel me pousse de plus en plus à découvrir des systèmes rares et des variantes sophistiquées. 


Q. Quel type de collectionneur êtes-vous, "vitrine" ou "placard " ? celui qui expose ou celui qui classe ?

R. Ma réponse est simple : mes tire-bouchons ont trouvé leur place dans une annexe inhabitable de mon ancienne bastide, chaque catégorie dans sa propre vitrine. 




Un bel ordonnancement !



Q. Je sais que vous vous êtes intéressé un temps aux bouchonneuses, mais collectionnez-vous d’autres choses ? Avec autant de passion que les tire-bouchons ?

R. Non, en fait, je ne suis pas le type "collectionneur" et encore moins "multicollectionneur". 
J’aime bien m’entourer de choses qui me plaisent et m'intéressent, de tableaux ou sculptures, de livres, de CDs, mais je ne les collectionne pas vraiment. 
Les tire-bouchons, comme déjà mentionné, sont pour moi un sujet d’études et de recherches, d’études parfois pénibles jusqu’au moindre détail. Après chaque achat je commence à fouiller les livres, catalogues, internet ou les revues des différents clubs, pour trouver des informations comme le fabricant ou un numéro de brevet ou d'enregistrement.



... Etudier et partager !


Q. Combien de livres avez-vous écrit ou co-écrit ? 

R. On peut dire deux livres, mais j'ai souvent choisi une autre façon de partager mes connaissances.

Dans tous les pays ayant eu une importante industrie de tire-bouchons, des livres retracent pour les collectionneurs les plus avancés tout ce qui existe sur les brevets et les modèles déposés. 
Alors j'ai été curieux de regarder si du côté de ma patrie, la Suisse, considérée comme le pays des horloges ou du chocolat, plutôt que comme un eldorado des tire-bouchons, existaient aussi des brevets.
J’ai passé plusieurs jours à Berne dans l'Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI) à fouiller d'innombrables boites poussiéreuses pour y trouver finalement une centaine de brevets que j'ai réunis dans mon fascicule, dont la 3ème édition révisée a été publiée en 2014.




Les brevets suisses répertoriés par Hajo.


Et puis, en 2005, à l’occasion du congrès de Nancy que vous organisiez et à l'occasion duquel vous aviez voulu rendre hommage et mémoire au nancéien Jules Bart et à son célèbre Zig-Zag, j'ai réalisé avec Gérard Teyssier - l'inoubliable Gégé - une exposition de tire-bouchons extensibles. Le petit catalogue de cette exposition a été la base d'un livre qui allait naître après l’initiative de Jacques Lapierre sur ce groupe fascinant.
Je suis heureux d’avoir eu la chance d’en être le co-auteur avec mon magnifique ami Jacques.




Le livre référence sur les tire-bouchons extensibles
co-écrit par Hajo Türler et Jacques Lapierre.


Mais ce ne sont pas seulement les livres, qui comptent... Pour moi, un excellent moyen de partager ses connaissances est d'écrire pour les revues des différents clubs.  Ça a toujours été un grand plaisir pour moi de contribuer, surtout à l’Extracteur et ses cahiers et au Krätzer, la revue allemande.
Cela m'a permis d'y écrire des articles ou études sur les thèmes qui m’intéressent le plus :
- une classification des tire-bouchons,
- un dictionnaire des expressions spécifiques aux tire-bouchons en quatre langues,
- un comparaison des moyens de protection intellectuelle (brevets et modèles déposés) au niveau international,
- les bouchonneuses,
- les tire-bouchons à extraction rotative comme prédécesseurs des tire-bouchons mécaniques,
- les tire-bouchons pneumatiques...

Je veux encourager les jeunes collectionneurs à faire de même : ces publications sont une source précieuse de connaissances sur notre hobby.



Conseil aux jeunes collectionneurs : 
ne soyez pas des "combattants solitaires" !


Q. Vous anticipez là sur ma dernière question. Nous sommes en effet aujourd’hui à un tournant de l’hélixophilie : la génération des fondateurs est vieillissante, mais nous rencontrons aussi de plus en plus de nouveaux collectionneurs. Quel message leur passeriez-vous pour les aider dans leurs débuts ? 

R. Il y a plusieurs messages que je veux donner à tous les collectionneurs :
Ne restez pas des "combattants solitaires", rejoignez les clubs de collectionneurs. Vous rencontrerez des personnes qui sont sur la même longueur d’onde que vous, et vous vous ferez des amitiés précieuses.  
Participez à la vie des clubs, aux congrès avec les ventes entre membres et les "shows and tells", à l'occasion desquels vous aurez l’occasion de voir et de prendre en main des pièces autrement jamais vues.
Invitez les membres des clubs à voir votre collection et à en discuter, visitez les, en France ou dans d'autres pays, et cherchez à apprendre ce qu'ils collectionnent et comment ils collectionnent. 
Osez demander une expertise par vos collèges en cas de doute. 
Je me réjouis toujours quand je peux transmettre mes connaissances à des amis moins expérimentés.


Qu'Hajo, un des meilleurs d'entre nous nous, encourage les plus jeunes à inviter et aller rencontrer les autres : n'est-ce pas là la meilleure façon de donner sens à la démarche du collectionneur ?


M



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