Amis hélixophiles, bonjour !
Ayant toujours gardé en tête la
question posée au X° congrès du CFTB, à Nancy, en 2005, sur la date de naissance du tire-bouchon,
j'ai eu envie d'écrire sur et
si possible de dater cette étrange "conjonction" de trois objets quasi-célestes :
bouteilles, bouchons et tire-bouchons.
Je me suis appuyé pour ce
faire sur la lecture des ouvrages écrits par nos meilleurs auteurs
hélixophiles (cf. mes fiches bibliographiques), comme sur mes échanges avec eux.
J'ai aussi utilisé deux ouvrages majeurs :
- les actes publiés du
colloque international tenu à Bordeaux en mars 2007 :
Le verre et le vin de la cave à la table
du XVII° siècle à nos jours
sous la direction de
Christophe Bouneau et Michel
Figeac
Centre d'Etudes des mondes
Moderne et Contemporain
Maison des Sciences de l'Homme
d'Aquitaine,
notamment la contribution de
Philippe Bachy :
Les bouchages de la bouteille
de vin. Evolution du XVII° au XXI° siècle.
- et le magistral essai :
La bouteille de vin
Histoire d'une révolution
par Jean-Robert Pitte
publié en 2013 aux Editions
Tallandier.
Je rends ici hommage à la
densité et la qualité des travaux de ces auteurs !
M
BOUTEILLES, BOUCHONS ET TIRE-BOUCHONS
1. Amphores, outres et tonneaux
Au commencement...
Nous sommes en Gaule au début
de notre ère.
L'empire romain est au sommet
de sa puissance.
En Gaule, comme dans tout
l'empire, les légions stabilisent les frontières et sécurisent les populations
romanisées.
Cette Pax Romana favorise le commerce entre lointaines provinces :
vaisseaux et convois transportent produits manufacturés et produits agricoles
sur de longues distances.
Le vin, particulièrement, irrigue
l'empire.
Légionnaires et citoyens
l'apprécient et le réclament : souvenons-nous du poète Ausone - un Bordelais -
qui célébrait La Moselle et ses vignobles
!
"... Assez longtemps déjà nous avons contemplé les plaines liquides et dénombré leurs
légions luisantes et leur mille cohortes. Que l’aspect de la vigne nous présente
d’autres tableaux ; que les dons de Bacchus attirent nos regards errants sur la
longue chaîne de ces crêtes escarpées, sur ces rochers, ces coteaux au soleil,
avec leurs détours et leurs renfoncements, amphithéâtre naturel où s’élève la
vigne. Ainsi la grappe nourricière revêt les coteaux du Gaurus et du Rhodope,
ainsi de son pampre brille le Pangée, ainsi verdoie la colline de l’Ismarus qui
domine les mers de Thrace, ainsi mes vignobles se reflètent dans la blonde
Garonne. Suivant, du pied de la montagne, le penchant qui monte jusqu’à la
dernière cime, le vert Lyéus se montre partout sur les bords du fleuve. Le
peuple joyeux à l’ouvrage, et l’alerte vigneron parcourent avec empressement,
les uns le sommet de la montagne, les autres la croupe inclinée de la colline,
et se renvoient à l’envi de grossières clameurs : ici le voyageur qui chemine en
bas sur la rive, plus loin le batelier qui glisse sur l’onde, lancent aux
campagnards attardés des chants moqueurs que répètent les rochers, la forêt qui
frissonne, et la vallée du fleuve..."
AUSONE, La Moselle (Idylle X), traduction E.F. Corpet, 1843
Et pour le transport du vin, si
l'amphore et l'outre continuent de dominer au sud, le tonneau s'impose de plus
en plus, venu du nord.
L'amphore est bouchée au liège
et scellée au mortier ou à la résine ; un cylindre de bois ou bonde ferme le
tonneau.
Flacons et carafes en verre soufflé,
cruches et pots de terre sont réservés au service, de la cave à la table,
parfois obturés d'un tapon de bois ou de tissu enduit de cire.
Un millénaire plus tard, la
Gaule est devenue la France et "les grandes découvertes" élargissent le monde.
Nombre de provinces françaises
ont été possessions anglaises dans les siècles précédents, et particulièrement
des provinces viticoles importantes comme l'Aquitaine, l'Anjou ou la Touraine.
Forte de cette histoire, l'Angleterre
domine le négoce du vin.
En outre, nous savons grâce à la climatologie qu'un "petit âge glaciaire" a frappé l'Europe du XV° au XVIII° siècle, soit pendant la période historique dite "époque moderne" : la limite nord de la vigne a sensiblement reculé durant cette période.
C'est donc de France, d'Espagne
et du Portugal, par voie fluviale puis maritime, que les tonneaux sont acheminés
vers Londres d'où rayonne le commerce international.
Les négociants anglais
"travaillent" le vin pour accroître leurs marges : vieillissement en
tonneaux, ouillage, coupage, ajout de sucre de canne, vente au détail ...
Les clairets, naturellement
pétillants, et ceux de Champagne plus que d'autres, moussent de plus en plus avec
l'adjonction de sucre et font sauter les bondes des tonneaux.
Un produit nouveau nait ainsi et
est apprécié des clients fortunés dès le XVI° siècle... mais comment boire en une
fois un tonneau de vin mousseux ?
Ailleurs, les amateurs éclairés s'attachent de plus en plus à la comparaison des vins : origines, cépages, années et conservent donc dans leurs caves des "échantillons en bouteilles" des différentes récoltes.
La vente au détail et un conditionnement
spécifique deviennent nécessaires.
Le XVII° siècle va consacrer l'utilité du conditionnement en bouteilles.
A la fin du Moyen Âge, la
bouteille commence à s'imposer : pour le service tout d'abord entre cave et
table, puis pour la conservation du vin acheté au détail.
Et le Moyen Âge, temps des
cathédrales, est aussi celui du vitrail : une forte demande de verre en
résulte.
Aussi, un peu partout en
Europe, des verreries, grosses consommatrices de bois, s'installent dans les
régions forestières.
En France, l'activité de
verrier est réservée aux gentilshommes. Le maître verrier ne déroge pas à son état
de noblesse et cette activité s'en trouve considérablement valorisée.
La fabrication de
bouteilles soufflées exige un travail humain considérable et une consommation élevée de bois : la capacité de production reste donc quantitativement limitée.
La qualité des
bouteilles produites est souvent médiocre : poids, épaisseur, régularité, capacité sont
inégaux.
Enfin les modèles imités des bouteilles anglaises ne sont guère pratiques : les bouteilles oignons sont de formes encombrantes et donc difficiles à stocker.
Autant de défauts
préjudiciables aux consommateurs.
Il est significatif que les
bouteilles à vin de Meuse XVIII° siècle du musée belge de Hermalle-sous-Huy
soient dites "bouteilles voleuses".
Bouteille oignon et bouteille voleuse.
Mais le problème vaut aussi
bien dans le Bordelais justifiant la promulgation d'édits municipaux
contraignants sur le commerce du vin en bouteilles encore en 1693 et 1709 (Cf.
Jean-Robert Pitte, La bouteille de vin, Histoire d'une révolution, p. 110).
La solution est anglaise : le
déboisement menaçant l'approvisionnement en bois de la marine, un édit royal
inspiré par Robert Mansell, trésorier de la flotte, interdit en 1615 la
fabrication de verre à l'aide de bois... tandis que le même Mansell se fait
octroyer le monopole de la fabrication dans des fours à charbon !
L'utilisation du charbon
révolutionne d'emblée la fabrication par l'obtention dans les fours d'une
température sensiblement plus élevée : le verre s'en trouve beaucoup plus
solide.
Les verreries à charbon se
développent rapidement, y compris en Belgique et aux Pays-Bas, mais il faudra
le génie d'un autre Anglais, Kenelm Digby, pour que naisse en 1632 la bouteille
moderne.
Cuisson au charbon de bois et fond plat, cuisson au charbon de terre et fond piqué
La bouteille de Digby répond
aux besoins des négociants. Faite de verre noir, elle est épaisse et ses
dimensions et formes standardisées : contenance maîtrisée, fond piqué, goulot
cylindrique, col renforcé par une bague en verre rapporté.
La maîtrise de la fabrication
conduit à la généralisation de l'usage de la bouteille pour la
commercialisation par les marchands anglais des productions champenoises et
bordelaises.
Même si en France, il faut
attendre les édits royaux de 1728 et 1735 pour que soient complètement
autorisées la commercialisation et la circulation du vin en bouteilles.
Au XVIII° siècle, la bouteille standardisée s'est imposée. Encore faut-il garantir son herméticité et la bonne conservation du vin qu'elle contient : arrive le temps du bouchage au liège...
(à suivre demain)
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