Amis hélixophiles, bonjour !
Le monomaniaque que je suis se pose souvent la même question :
Quand donc est apparu le tire-bouchon ?
Quand donc est apparu le tire-bouchon ?
La réponse semble simple :
Le tire-bouchon est apparu ... dès qu'on a eu besoin de lui !
Une tautologie en somme...
Peut-être ?
Et peut-être aussi que pour trouver une meilleure réponse à la question posée, je devrais abandonner mon esprit trop rationnel et m'en remettre à quelque dieu ?
Et peut-être aussi que pour trouver une meilleure réponse à la question posée, je devrais abandonner mon esprit trop rationnel et m'en remettre à quelque dieu ?
Dois-je rappeler qu'Alexandre Lainez avait déjà répondu pour sa part, attribuant l'invention au dieu Amour ?
Imaginez quelle tête vous feriez si je retrouvais demain le tire-bouchon originel, celui d'Adam, le premier tire-bouchon, l'ancêtre de tous les autres ?
... Ce n'est pas réaliste, dites-vous ?
... Je pense un peu comme vous !
... Je pense un peu comme vous !
Alors, à défaut, il faut bien en revenir à une approche plus scientifique.
Au risque peut-être de mettre en oeuvre le principe d'indétermination d'Heisenberg et que la place de l'observateur (moi) influe sur la chose observée (le tire-bouchon) ?
Au risque peut-être de mettre en oeuvre le principe d'indétermination d'Heisenberg et que la place de l'observateur (moi) influe sur la chose observée (le tire-bouchon) ?
Lançons-nous quand même !
La conjonction de l'utilisation de la bouteille pour conserver un liquide et d'un bouchon de liège forcé pour la fermer a rendu nécessaire le tire-bouchon,
ce qu'on peut résumer par une magnifique formule scientifique :
Bouteille + bouchon => tire-bouchon
Nos recherches historiques doivent donc porter sur l'évolution des pratiques en matière de conservation, sur l'évolution des bouteilles et sur l'utilisation du bouchon de liège pour les rendre étanches.
Concernant les liquides alimentaires : huile, bière, cidre, vin , eau..., les vrais changements à partir de la Renaissance ont été :
- d'adapter, malgré des réglementations contraires, les capacités des contenants aux modes de consommation, depuis le tonneau jusqu'à des bouteilles de formes et volumes stabilisés,
- et de maîtriser de mieux en mieux la conservation des produits dans ces récipients quasi stériles et étanches, ce que ne permettaient pas les flacons, pots ou cruches utilisés seulement pour le service de la cave à la table.
On le sait, la réponse a été apportée par Kenelm Digby, l'inventeur de la bouteille moderne en 1632.
On a déjà traité ici de la "révolution de la bouteille", ... cette formule est de Jean-Robert Pitte, in
LA BOUTEILLE DE VIN
Histoire d'une révolution.
Cf. ma fiche bibliographique :
Il est cependant plus difficile de traiter du bouchon de liège.
La matière et la fonction sont connues depuis la plus haute antiquité...
Bouteille-oignon, première moitié XVII° siècle
Musée arts décoratifs Bordeaux.
Photo Institut National de Recherches Archéologiques Préventives.
On a déjà traité ici de la "révolution de la bouteille", ... cette formule est de Jean-Robert Pitte, in
LA BOUTEILLE DE VIN
Histoire d'une révolution.
Cf. ma fiche bibliographique :
Il est cependant plus difficile de traiter du bouchon de liège.
La matière et la fonction sont connues depuis la plus haute antiquité...
"En outre, deux bouchons d'amphores en liège ont pu être prélevés. Cette matière organique constitue le véritable trésor du site, même si de l'un des puits, un petit « lingot » d'or pur, de près de 5 grammes, n'a pas échappé à la vigilance des archéologues."
(2° siècle après JC).
Fouilles de La Gagnerie à Limoges, 2009. Photo Institut National de Recherches Archéologiques Préventives.A la lecture de cet article, Hajo Türler, m'a adressé un commentaire (Cf. ci-après) et deux photos illustrant l'usage du liège pour boucher les amphores dans l'Antiquité.
Voici ces photos, avec mes remerciements à Hajo :
Museo navale romano
à Albenga (Ligurie). Photos Hajo Türler.
Le bouchon de liège a été utilisé dès l'Antiquité pour obturer les amphores, mais son adaptation spécifique au bouchage des bouteilles à l'époque moderne reste un sujet d'étude.
Il faudrait pour cela remonter aux sources de l'industrie de la bouchonnerie, examiner le rôle des négociants anglais à l'époque dite moderne, s'intéresser à leurs circuits commerciaux ainsi qu'à leur accès aux ressources et aux traditions des régions méditerranéennes à la fois viticoles et subérales...
A défaut de pouvoir mener à bien ce travail, je peux au moins faire appel à la linguistique diachronique et repérer dans l'évolution de ma langue les glissements sémantiques témoignant de la prise en compte de cette nouvelle réalité : le bouchage des bouteilles au bouchon de liège forcé.
(Je pose en même temps l'hypothèse que les pratiques viti-vinicoles ayant évolué parallèlement dans les grandes régions européennes de production, les langues ont évolué de même et que ce qui vaut pour le Français vaut aussi pour les langues voisines.)
(Je pose en même temps l'hypothèse que les pratiques viti-vinicoles ayant évolué parallèlement dans les grandes régions européennes de production, les langues ont évolué de même et que ce qui vaut pour le Français vaut aussi pour les langues voisines.)
Dès lors, la question du jour peut être reformulée ainsi :
A quelle époque le bouchon de liège est-il considéré comme le moyen de boucher hermétiquement une bouteille ?
Il faut pour la déterminer rechercher le mot bouchon dans les dictionnaires anciens et voir comment sa définition a progressivement évolué jusqu'à englober le sens restreint de bouchon de bouteille qui nous intéresse.
Ce sens restreint n'est pas encore consacré à la fin du premier tiers du XVII° siècle.
Ainsi, dans le dictionnaire "Invantaire des langues françoise et latine" par le Père Philibert MONNET, publié en 1635, on recense les acceptions suivantes du mot bouchon :
Page 145 :
- Bouchon, etoupon, etoupillon, ce qui bouche un trou.
- Bouchon, trousseau, poignée de foarre, foin, paille, verdure.
- Bouchon de verdure pour anseigne, sur la porte d'un cabaret.
- Bouchon, petit boteau, poignée de foarre, de foin, ou paille, à bouchonner, torcher une monture.
Et aussi :
- Page 136 : Douzil, doizil, faucet, chevillette, petit bouchon à fermer le trou d'un fond d'un tonneau.
- Enfin, page 954 : Vertau, bondon, tampon, bouchon de mui, de tonneau.
Ce dictionnaire est contemporain de l'invention en 1632 de la bouteille moderne par Kenelm Digby. Pourtant le mot bouchon n'est jamais associé au liège ni utilisé spécifiquement pour désigner le moyen d'obturer une bouteille.
Rappelons d'ailleurs ici que Digby avait commencé par préconiser le bouchage de ses bouteilles au bouchon de verre émerisé.
Quelques décennies plus tard, l'usage du bouchon de liège pour obturer les bouteilles de vin conservées en cave se généralise pourtant.
Deux textes au moins, déjà cités sur ce blog, nous ont permis de le constater :
- Les éléments contextuels du poème d'Alexandre Lainez, "L'origine du tire-bouchon" montrent que le bouchon de bouteille est utilisé avant 1690.
- Le texte même du "Nouveau voyage aux isles de l'Amérique" de Jean-Baptiste Labat confirme cet usage avant 1697.
Et en 1701, le sens restreint de bouchon de bouteille apparaît dans le dictionnaire.
On le trouve dans le "Dictionnaire Universel contenant les Mots François" publié par Antoine Furetière en 1701 (mais la première édition de son essai pour un dictionnaire universel remonte à 1684) : même si le sens qui nous intéresse n'apparaît pas explicitement parmi les acceptions proposées pour le mot bouchon, il est sous-entendu dans la première proposition relative aux bouchons de liège d'Angleterre, ou de verre, lesquels empêchent que les esprits les plus subtils ne s'exhalent.
Et surtout, ce sens de "bouchon qui bouchoit une bouteille" se retrouve plus loin dans la définition des mots destoupper ou detoupper :
"ôter l'étouppe, le bouchon qui bouchoit une bouteille ou un autre vaisseau. Il ne faut pas detoupper une bouteille, qu'on n'en boive aussi-tôt le vin"...
Concluons provisoirement que la linguistique nous a permis de situer dans la deuxième moitié du XVII° siècle l'utilisation fréquente du bouchon de liège pour obturer hermétiquement les bouteilles, du "bouchon qui bouchoit une bouteille".
Notons la bonne concordance avec l'invention de la bouteille moderne et poursuivons nos lectures pour améliorer notre datation.
Notons la bonne concordance avec l'invention de la bouteille moderne et poursuivons nos lectures pour améliorer notre datation.
Mais même ainsi, le sujet sera loin d'être exploré... et il faudra donc y revenir !
M
Commentaire transmis par Hajo :
RépondreSupprimerBonjour Marc,
pour illustrer l'utilisation de bouchons de liège par les romains, je t'ajoute deux photos.
J'ai eu l'occasion de visiter le petit, charment musée Museo navale romano
à Albenga en Ligurie à l'occasion d'une réunion du AICC en 2008.
Malheureusement les chineurs italiens n'ont pas trouvé les tire-bouchons respectifs!
Amicalement
Hajo
Merci Hajo,
RépondreSupprimerJ'intègre immédiatement tes deux photos dans le corps de mon article.
A bientôt !
r ami Marc, votre article est vraiment passionnant et celui-là réfléchit sur une des questions qui nous passionne le plus, le rapport entre liège, vin et bouteille !
RépondreSupprimerConcernent le vin et le lège il est certainement fort ancien et plusieurs achats archéologiques le témoigne. Pourtant nous sommes encore loin du domaine des bouteilles de verre e du liège… D’après quelques lectures, les plus anciennes bouteilles/flacons de verre qui aurai été bouché avec du liège, serai de parfums, dans l’ancien Egypte ! Nous avons écrit un petit article sur ce sujet dans un magazine portugais et nous regrettons n’avoir encore eu le temps de le traduire en français.
Dans cet article nous parlons de « tire-bouchon » dans un sens large, comme outille qui aide à faire sortir un bouchon d’un flacon et dans ce sens large il est certainement plus ancien que le « moderne » tire-bouchon. Mais à cette époque qu’est-ce qu’on utiliserait comme « tire-bouchon » ? Voici une question, parmi d’autre qui nous passionne.
Alors, Cher ami Marc un grand merci par cet article qui nous donne toujours envie de réfléchir encore plus sur tous ces questions !
https://www.facebook.com/museu.dosacarolhas
Merci Lopo.
RépondreSupprimerOui, cette question du bouchage des flacons est passionnante : je suis preneur de ce que tu pourras m'écrire là-dessus et le publierai. J'aimerais bien que tu m'adresses l'article dont tu parles : peut-être pourrais-je essayer de le comprendre avec Google Translator ?
Amicalement,
Marc