Amis lecteurs, bonjour !
C'est d'un questionnement de Patrice, "hélixophile aquaphile", qu'est née l'idée de cet article consacré aux débuts de l'exploitation des eaux minérales à l'époque moderne.
C'est d'un questionnement de Patrice, "hélixophile aquaphile", qu'est née l'idée de cet article consacré aux débuts de l'exploitation des eaux minérales à l'époque moderne.
Nous allons donc parler "d'histoires d'eaux" et incidemment de bouteilles, de bouchons et de tire-bouchons.
L'exploitation des eaux minérales remonte à l'Antiquité.
Sous l'Empire Romain, de nombreuses villes possèdent leurs thermes établis sur des sources et où les habitants viennent chercher le bénéfice d'eaux aux vertus thérapeutiques affirmées.
A cette époque, l'eau potable est délivrée dans les villes par un réseau d'aqueducs ; mais on ne sait presque rien d'une éventuelle distribution des eaux minérales.
Un rare document, le dessin d'une coupe en argent du II° siècle, dite coupe d'Otanez, découverte à la fin du XVIII° siècle près de Santander en Espagne et perdue depuis, illustre le transport d'eau minérale depuis une source :
La coupe d'Otanez
Illustration : Le Magasin Pittoresque, 1876
Description de la coupe d'Otanez
Le Magasin Pittoresque 1876, page 48
La coupe montre une nymphe incarnant la source d'Umeri (lieu non identifié) et délivrant son eau à des hommes, lesquels l'invoquent ou la remercient par des sacrifices. Plus directement intéressant pour nous, on y voit un esclave emplissant un vaisseau (récipient) tandis qu'un autre déverse une amphore dans ce qui semble être une outre de grande taille installée sur une charrette tirée par des bœufs.
L'eau de la source est donc transportée en quantité importante pour être distribuée ailleurs.
L'eau de la source est donc transportée en quantité importante pour être distribuée ailleurs.
Au sortir du Moyen Âge, la France - dite moderne - qui s'est constituée entre et autour de massifs montagneux est un pays où abondent les sources.
Les qualités et les vertus prêtées aux eaux de ces sources font qu'elles sont très tôt prescrites par les médecins pour traiter les maladies des gens.
Evian, Vichy, Dax, Royat, Vittel, Contrexéville, Plombières, La Bourboule, Mont-d'Or, Saint-Amand...
les Eaux-Bonnes et les Eaux-Chaudes...
les Bagnères, Bagnoles ou Bagnols... et toutes les villes ajoutant "Les Bains" à leur toponyme : Aix-les-Bains, Amélie-les-Bains, Bains-les-Bains, Thonon-les-Bains...
la liste serait longue à établir des stations thermales qui se sont installées auprès de sources réputées pour en exploiter et en commercialiser les eaux.
C'est cette histoire de la commercialisation des eaux qui nous intéresse maintenant.
C'est cette histoire de la commercialisation des eaux qui nous intéresse maintenant.
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J'ai emprunté l'essentiel de mes informations sur cette question à deux articles de qualité repérés sur le Net :
- La vente des eaux minérales embouteillées
de Cécile Raynal, paru dans
La Revue d'Histoire de la Pharmacie
www.persee.fr/doc/pharm
- L’embouteillage des eaux minérales : quatre siècles d'histoire
de Pascal Chambriard, paru dans
de Pascal Chambriard, paru dans
Les Annales des Mines
http://www.annales.org/
Sous l'Ancien Régime, les eaux minérales sont prescrites par les médecins pour soigner leurs patients : elles sont considérées comme des médicaments.
C'est ce qui explique une précoce prise en charge de l'industrie des eaux minérales par l'administration royale médicale.
On lit dans les Annales qu'Henri IV a créé la charge de Surintendant des Eaux Minérales de France en mai 1605 et l'a confiée à son Premier Médecin.
Celui-ci se voit alors donner le pouvoir de "nommer ung Intendant et Maître ou plusieurs de capacité et suffizance requise par les provinces de cestuy nostre royaulme païs et terre de nostre obéissance esquelles il se trouvera desdicts bains et fontaines".
Le Surintendant des Eaux est maître de la distribution et concède le privilège de la vente à qui lui plait.
L'administration territoriale se densifiant, des intendances régionales se développent progressivement, puis des intendances attachées à un seul établissement.
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A partir de 1772 les choses changent, nous explique l'article des Annales :
Une Commission Royale de Médecine est instituée sous l'autorité du Premier Médecin. Elle est chargée "de l'examen des remèdes particuliers et de la distribution des eaux minérales". Elle agrée à ce titre les dépôts de vente et y contrôle la qualité des eaux, leur prix, ainsi que l'identité des acheteurs.
Pour preuve de ce contrôle, un extrait du procès-verbal de vérification ou certificat de puisement est attaché à chacune des bouteilles, c'est l'ancêtre de nos actuelles étiquettes.
Dès 1778, cette Commission est érigée en Société Royale de Médecine, préfiguration de notre Académie de Médecine.
Et trois ans plus tard, le 05 mai 1781, un arrêt royal réactualise la réglementation.
L'Intendant des Eaux nommé par le Surintendant assure le contrôle du thermalisme et de l'expédition des eaux au profit du propriétaire de la source : "il assiste au puisage des eaux, il marque les bouteilles d'un cachet, il rend compte des envois à la Société Royale de Médecine".
Cécile Raynal nous éclaire sur le marquage des bouteilles à cette époque : "Un cachet de cire spécifique à chaque exploitant est délivré par la Société Royale de Médecine. Il est apposé sur la bouteille, souvent sur le bouchage constitué de cire".
Déjà depuis la fin du XVII° siècle, selon Chomel cité par Pascal Chambriard (Chomel, Nouveau Système des eaux minérales de Vichy, 1696), "un soin attentif est apporté au bouchonnage des bouteilles : il faut observer aussi quelles doivent être bouchées (…) avec du liège, de la peau et de la cire, en laissant un peu de vuide dans la bouteille, autrement elle se casserait sous l'action et les efforts des sels volatils…".
L'arrêt royal de 1781 impose de "prendre pour l'expédition des eaux, des bouteilles de verre noir parfaitement propres et lavées avec de l'eau de source puis de ne faire usage que de bouchons de liège neufs préalablement trempés pendant plusieurs jours dans l'eau minérale elle-même".
Le verre, plus facile à boucher et à nettoyer, prend le pas sur le grès (mais à Longwy, les eaux seront vendues conditionnées en bouteilles de grès encore au début du XX° siècle).
Surtout, les eaux sont transportées et vendues dans des bouteilles bouchées au liège.
L'utilisation d'un tire-bouchon devient donc nécessaire pour les ouvrir !
Le texte prévoit aussi le cas des eaux gazeuses : "les eaux alcalines gazeuses ou acidulées seront un instant exposées à l'air avant d'être bouchées. Le bouchon devra ensuite être assujetti au moyen d'un fil de fer ou d'une capsule solidement adaptée".
L'arrêt royal de 1781 impose de "prendre pour l'expédition des eaux, des bouteilles de verre noir parfaitement propres et lavées avec de l'eau de source puis de ne faire usage que de bouchons de liège neufs préalablement trempés pendant plusieurs jours dans l'eau minérale elle-même".
Le verre, plus facile à boucher et à nettoyer, prend le pas sur le grès (mais à Longwy, les eaux seront vendues conditionnées en bouteilles de grès encore au début du XX° siècle).
Surtout, les eaux sont transportées et vendues dans des bouteilles bouchées au liège.
L'utilisation d'un tire-bouchon devient donc nécessaire pour les ouvrir !
Le texte prévoit aussi le cas des eaux gazeuses : "les eaux alcalines gazeuses ou acidulées seront un instant exposées à l'air avant d'être bouchées. Le bouchon devra ensuite être assujetti au moyen d'un fil de fer ou d'une capsule solidement adaptée".
Les préoccupations prophylactiques conduisent aussi à favoriser la vente des eaux minérales en pharmacie et à limiter les capacités des bouteilles utilisées.
Les bouteilles destinées à la commercialisation de l'eau contiennent habituellement une pinte (0,93 l), trois chopines (1 pinte et demie, soit 1,36 l) ou quatre pintes (3,72 l). L'utilisation de bonbonnes reste expérimentale et marginale.
Cependant pour éviter que les eaux gazeuses ne s'éventent, les demi-bouteilles sont préconisées : "il vaut mieux se servir de demi-bouteilles ou même de flacons contenant un verre d'eau minérale, comme cela se pratique au Mont-d’Or, afin de pouvoir vider chaque matin le vase entier, et de prévenir ainsi la décomposition de l'eau" (Patissier et Boutron-Charlard, Manuel des Eaux Minérales de la France, 1837).
Voici un exemple d'une bouteille d'eau minérale naturelle conçue vers 1850 :
Bouteille d'eau minérale Janos Hunyadi
Bitterquelle Saxlehner
L'eau de la "source amère" ou Bitterquelle était exploitée à Budapest par Andreas Saxlehner au XIX° siècle et distribuée en Europe et aux Etats-Unis sous la marque "Janos Hunyadi", du nom du général hongrois ayant repoussé les Ottomans en 1458.
Cette bouteille moulée, dite de 24 onces, soit environ 70 cl, ne contient en réalité que 67 cl. Elle est cylindrique (7,8 cm de diamètre) et a une hauteur de 23,5 cm. Destinée à être bouchée au liège, elle a un goulot étroit (17 mm de diamètre intérieur) renforcé par une épaisse collerette.
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Retenons pour conclure que les eaux minérales sont vendues en bouteilles de verre bouchées au liège dès le début du XVIII° siècle : l'utilisation du tire-bouchon s'impose à cette époque pour ouvrir une bouteille d'eau minérale.
On voit le parallèle avec l'embouteillage du vin en bouteilles de verre bouchées au liège, mis en place à la même époque. Et donc aussi avec l'apparition du tire-bouchon dans les mêmes conditions.
Avec la révolution industrielle, et jusqu'à la première guerre mondiale, des tire-bouchons sont spécialement fabriqués pour ouvrir les bouteilles d'eau de plus en plus largement vendues.
L'exemple le plus emblématique est le tire-bouchon spécialement créé par Jean Descours pour la Source Parot :
Le tire-bouchon Parot.
Photo Alain Grondeau.
Mais bien d'autres exemples montrent des publicités pour des eaux embouteillées, en voici un :
Un tire-bouchon spécial pour le débouchage des eaux minérales.
Photo Riccardo Pinsaguel.
Le bouchage au liège des eaux minérales perdure jusqu'à la fin du XIXe siècle et à l'invention du "bouchon-couronne" par l'Américain William Painter.
Painter dépose en 1892 deux brevets pour le "crown cork" ou "bouchon-couronne" : une feuille de métal emboutie en couronne et doublée d'une couche de liège assure l'étanchéité et la protection du liquide. Ce mode de bouchage impose l'utilisation d'une bouteille spéciale avec collerette adaptée et d'une machine spécifique à ce type d'embouteillage, le "capsulateur".
Pratique, bon marché, d'une fabrication facile à mécaniser, le bouchon-couronne se généralise très vite, et son usage s'étend y compris pour boucher les vins de table.
L'ouverture nécessitera l'utilisation d'un ustensile spécifique, le "décapsulateur", vite rebaptisé "décapsuleur", lequel envahit très vite poches et tiroirs ...
Painter dépose en 1892 deux brevets pour le "crown cork" ou "bouchon-couronne" : une feuille de métal emboutie en couronne et doublée d'une couche de liège assure l'étanchéité et la protection du liquide. Ce mode de bouchage impose l'utilisation d'une bouteille spéciale avec collerette adaptée et d'une machine spécifique à ce type d'embouteillage, le "capsulateur".
Pratique, bon marché, d'une fabrication facile à mécaniser, le bouchon-couronne se généralise très vite, et son usage s'étend y compris pour boucher les vins de table.
L'ouverture nécessitera l'utilisation d'un ustensile spécifique, le "décapsulateur", vite rebaptisé "décapsuleur", lequel envahit très vite poches et tiroirs ...
Le décapsuleur, "bourreau de la couronne", "détrône" alors le tire-bouchon, au moins pour déboucher les bouteilles d'eau !
M
M
Voir aussi ;) http://www.rebel-tb-etampes.fr/article-tire-bouchon-reclame-pour-les-eaux-minerales-couzan-brault-108071773.html
RépondreSupprimerArticle - et blog - recommandés à tous mes lecteurs ! :-)
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