dimanche 4 février 2024

UN MÉTIER OUBLIÉ : LE RAJEUNISSEUR DE BOUCHONS...

 

Amis blogueurs, bonsoir !


C'est Daniel Jallageas, ami collectionneur, membre du CFTB, qui m'a offert l'opportunité de cet article.


UN MÉTIER OUBLIÉ : LE RAJEUNISSEUR DE BOUCHONS...


Daniel Jallageas a exhumé dans Le Petit Journal daté du Jeudi 9 septembre 1869, un article de presse particulièrement intéressant pour nous.

Le rédacteur nous apporte des informations sur l'emploi et le réemploi des bouchons, mais aussi sur l'usage du foret en lieu et place du tire-bouchon.

Voici la copie de cet article :




Donnons tout d'abord quelques informations trouvées sur le net à propos du journal et du rédacteur de l'article :

Le Petit Journal, premier à être imprimé sur rotatives, a un format plus petit - d'où son nom - et un coût de fabrication et un prix de vente trois fois moindres que ceux des autres journaux de l'époque !
Fondé par Moïse Polydore Millaud, il a paru de 1863 à 1944. C'est l'un des quatre plus grands quotidiens français de l'époque, avec Le Petit Parisien, Le Matin et Le Journal
Le Petit Journal est un quotidien parisien qui se dit apolitique, mais est en fait républicain et conservateur. Proposant à côté de l'information nationale et internationale, un contenu distrayant avec des feuilletons, des horoscopes, des chroniques et des faits divers, il touche un très large lectorat.

Le rédacteur signe Thomas Grimm : il s'agit là du pseudonyme d'Henri Escoffier (1837 - 1891), journaliste et romancier de littérature légère qui propose un billet quotidien dans Le Petit Journal.



Henri Escoffier, alias Thomas Grimm
(Wikipédia)


Le billet qui nous intéresse est intitulé : "Grandeur et décadence d'un bouchon... de liège". Il vante cet accessoire trop méprisé : le bouchon de bouteille.


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Le bouchon de liège


Voici quelques extraits de cet article :
Rien au monde n’a été plus vanté, plus célébré, plus chanté que la bouteille. […] Mais généralement les poètes, aussi bien que les francs buveurs, ont été ingrats envers le bouchon.
Tous ont montré le plus profond dédain pour cet humble cylindre de liège, condamné à séjourner durant de longues années dans un goulot étroit qui le comprime…
Tous, en buvant à pleine coupe un vin fameux, ont toujours rejeté, sans un remerciement, le fidèle et brave serviteur que la brutalité seule d’une spirale de fer peut arracher à son poste !..."

Le rédacteur poursuit en soulignant les éminents services rendus par le bouchon, citant l'exemple du champagne :
"Et le Champagne, ce roi des vins de dessert, ne doit-il pas une grande partie de sa renommée à la joyeuse détonation que fait entendre, en sautant au plafond, le liège qui l'emprisonne ?..."

Comment ne pas penser là au tableau Le déjeuner d'huitres peint près d'un siècle et demi plus tôt par Jean-François de Troy, tableau dans lequel on voit les convives suivre des yeux le bouchon expulsé d'une bouteille de champagne !



Jean-François de Troy Le Déjeuner d'huîtres, 1735
(musée Condé à Chantilly).


Henri Escoffier, alias Thomas Grimm, évoque aussi la fabrication du bouchon à partir de l'écorce du chêne-liège, les qualités recherchées, les risques d'altérations et d'avaries (le "ténébrion").


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Tire-bouchon ou foret ?


Le paragraphe suivant est consacré à l'ouverture des bouteilles et ses conséquences sur l'état du bouchon de liège :
"Le tire-bouchon, qui a sur les parasites le précieux avantage de ne perforer le liège qu’au moment opportun, commet cependant aussi, dans les bouchons, des dégâts irréparables.
Un bouchon, traversé de part en part, n’est plus bon à rien, et généralement les ménagères les jettent à la rue…"
... "les ménagères les jettent à la rue" : notons à cet égard que la poubelle, ne sera imposée par le préfet de la Seine éponyme, Eugène Poubelle, que 15 ans plus tard, en 1884. Dans le Paris de 1869, les ordures ménagères et les pots de chambre sont encore le plus souvent vidés dans la rue !

Poursuivons notre lecture : elle est édifiante !
"Mais dans les cafés et restaurants de Paris, le tire-bouchon n’est employé que très exceptionnellement…
Les sommeliers et les garçons savent, avec une dextérité remarquable, arracher le liège le plus rebelle d’un seul coup de foret, et les bouchons, obliquement percés par cet instrument, peuvent servir encore… une ou plusieurs fois…"
On l'a déjà évoqué ici : le foret dans ce contexte de la restauration est plus efficace et rapide que le tire-bouchon et son usage permet un réemploi du bouchon.
Cf. notamment notre dossier :


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Le rajeunisseur de bouchons


Henri Escoffier évoque, sans s'y attarder, la simple mais fréquente réutilisation des bouchons par les patrons de bistrot pour boucher d'autres bouteilles remplies au fût.
Il choisit de nous présenter plutôt le devenir des bouchons "réformés", ceux qui ne sont pas immédiatement réutilisés, occasion de mettre à l'honneur un artisan parisien qui récupère et recycle les bouchons de liège : le rajeunisseur de bouchons.

Chez lui, les bouchons sont étuvés, blanchis à l’acide chlorhydrique, séchés et retaillés au couperet : un bon ouvrier, nous dit Escoffier, peut ainsi rendre neufs… 2800 bouchons dans une seule journée.
Bien sûr "en laissant sous le couperet son vieil épiderme, il perd de son calibre, il diminue, il s'amincit", alors le gros bouchon de champagne devient bouchon à Bordeaux, le bouchon à Bordeaux passe bouchon ordinaire, et doit s’estimer heureux de protéger encore un vieux Beaune ou un respectable Pommard… Puis, après avoir bouché chez les marchands de vin toutes les vulgaires bouteilles, il ne sert plus qu’aux fioles à goulots étroits de pharmaciens, parfumeurs ou autres chimistes."


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Il est temps pour moi de conclure, même si je ne peux plus le faire comme le fit Henri Escoffier : 
"Et c'est ce bouchon dégénéré, qui ferma peut-être jadis un flacon de vin de la Comète, que je mets en terminant cet article, au goulot de mon encrier !..."


Sincères remerciements à Daniel Jallageas d'avoir mis à notre disposition ce bel article de presse !




M


2 commentaires:

  1. Eccellente ritrovamento, bella ricerca, bravo Daniel Jallageas e Marc Ouvrard !!!

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  2. Merci Armando, mais c'est à Daniel que revient le mérite d'avoir retrouvé cet article du Petit Journal !

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