Amis collectionneurs, bonjour !
Connaissez-vous la véritable origine du tire-bouchon ?
Lors du Congrès du Club Français du Tire-Bouchon tenu à Sète les 22 et 23 mars 2014, j'avais présenté une contribution sur ce sujet.
Elle a été publiée depuis dans le bulletin du club, L'Extracteur. Je vous l'offre aujourd'hui en partage :
Elle a été publiée depuis dans le bulletin du club, L'Extracteur. Je vous l'offre aujourd'hui en partage :
RETOUR SUR LA NAISSANCE DU MOT
"TIRE-BOUCHON" EN FRANCE
ET SUR
"L'ORIGINE DU TIRE-BOUCHON"
SELON ALEXANDRE LAINEZ, POÈTE DU XVII° SIÈCLE.
SELON ALEXANDRE LAINEZ, POÈTE DU XVII° SIÈCLE.
Ma
contribution faisait écho au débat que j'avais proposé au Congrès de
Nancy en 2005 autour de l'invention du tire-bouchon.
Les
questions ouvertes alors étaient : qui a inventé le tire-bouchon ? et où ? et
quand ?
Le débat avait vu des interventions très intéressantes et nous avait permis de comprendre :
-
qu'il serait impossible d'attribuer l'invention du tire-bouchon à une seule personne,
-
que les bouteilles anciennes bouchées d'un bouchon conique pas complètement
enfoncé ne nécessitaient pas d'outil spécifique ; une simple pointe en appui
sur le goulot suffisait à faire levier et à faire sortir le bouchon,
-
que le tire-bouchon dérivait vraisemblablement du tire-balle ou tire-bourre,
outil d'artillerie préexistant et détourné de son usage premier pour retirer un
bouchon bloqué dans le col d'une bouteille,
Outils de chasseurs ou d'arquebusiers XVII° ou XVIII° siècles.
Musée Le Secq des Toiurnelles à Rouen.
- que les plus anciens tire-bouchons connus étaient anglais, littérature et iconographie à l'appui,
- enfin que les tire-bouchons étaient connus en Angleterre un siècle et demi avant le dépôt du premier brevet par Samuel Henshall en 1795.
Le sujet m'intéressant, j'ai essayé de poursuivre les recherches et ai publié les premiers résultats dans quatre articles de mon blog auxquels vous me permettrez de vous renvoyer :
-/-
La contribution présentée devant le Congrès de Sète était organisée en trois points :
01. L'invention du tire-bouchon dans l'Angleterre des années 1630.
02. L'apparition du mot "tire-bouchon" en France.
03. L'origine du tire-bouchon selon Alexandre Lainez.
-/-
01. L'invention du tire-bouchon dans l'Angleterre des années 1630.
J'ai écrit dans les articles cités ci-dessus et sans être encore contredit que
l'invention du tire-bouchon est contemporaine de celle de la bouteille moderne attribuée à l'Anglais Sir Kenelm Digby en 1632.
•
Cette bouteille, à la fabrication très améliorée par rapport à celles
existantes, le verre étant
fondu à haute température dans des fours fonctionnant à la houille ou charbon de terre,
se caractérise par la régularité de sa
forme, de sa solidité, de son épaisseur, de son poids et de sa contenance.
La bouteille de Digby peut être bouchée au maillet avant d'être scellée à la cire.
Elle peut être ensuite couchée en cave et le vin s'y bonifier.
Rappelons
que le vin bouché et conservé en cave est à cette époque un produit élitiste qu'on ne
trouve que sur les tables aristocratiques, du clergé ou des grands bourgeois.
•
Mais dès 1632, le bouchage au maillet aboutit forcément de temps en temps à des
enfonçages complets rendant les bouteilles impossibles à ouvrir avec un simple
poinçon.
Les riches propriétaires ne pouvaient se ridiculiser en restant
impuissants à régaler leurs hôtes du fait d'un bouchon récalcitrant.
Et le bouchon cylindrique enfoncé à
force et mieux hermétique prenant le pas sur le bouchon conique, le problème sera de plus en plus fréquent.
Le
recours à un outil connu, muni d'une vis, ici le tire-bourre ou tire-balle,
était la réponse la plus évidente et l'idée a dû naître dans beaucoup de têtes en même temps !
La
"vis à bouchon" ou "corkscrew" était inventée !
On l'attribue
généralement aux utilisateurs d'armes à feu : artilleurs ou chasseurs.
• Cette
explication est celle de Bernard M. Watney et Homer D. Babbidge, dans leur
livre Corkscrews for collectors
et leur datation correspond à la mienne :
Pour eux
: "il est vraisemblable que l'invention a été suscitée par la mèche
vrillée, simple ou double du tire-balle fourni avec les armes à feu, à partir
des années 1630 en tout cas."
Je crois pour ma part que ce sont
les chasseurs qui ont ouvert la voie.
Au XVII°
siècle, les artilleurs sont gens du peuple, tandis que la chasse est un
passe-temps aristocratique ; ses adeptes ont les moyens de posséder leur cave
et, hier comme aujourd'hui, on n'imagine guère de parties de chasse sans
paniers repas et bouteilles.
Cette
origine explique pourquoi le tire-bouchon a d'abord été un objet de luxe et non un
objet populaire.
• Estimer la naissance du tire-bouchon aux années 1630
me semble donc être une bonne datation.
Les écrits de Voltaire (1694-1778) vont en ce sens,
attestant que le tire-bouchon est connu en Angleterre en 1651.
Dans ses Œuvres parues en 1757, Voltaire décrit,
page 421, un Oliver Cromwell, "Lord protecteur" plus puissant qu'un
monarque absolu, et méprisant la religion qui avait servi à sa fortune ; je
cite :
"Il
buvait un jour avec Ireton, Fletwood, et Saint-Jean ; on voulut déboucher une
bouteille, et le tire-bouchon tomba sous la table ; ils le cherchaient
tous, et ne le trouvaient pas. Cependant une députation des Églises
presbytériennes attendait dans l’antichambre, et un huissier vint les annoncer.
« Qu’on leur dise que je suis retiré, dit Cromwell, et que je cherche le
Seigneur. » C’était l’expression dont se servaient les fanatiques quand
ils faisaient leurs prières. Lorsqu’il eut ainsi congédié la bande des
ministres, il dit à ses confidents ces propres
paroles : « Ces faquins-là croient que nous cherchons le Seigneur, et
nous ne cherchons que le tire-bouchon."
Cromwell meurt en 1658 ; deux des trois confidents,
Charles Fletwood et Oliver Saint-Jean lui survécurent, mais le troisième, Henry Ireton, son gendre, est décédé en 1651 :
... c'est donc au plus tard en 1651 qu'a pu avoir
lieu la scène du tire-bouchon décrite par Voltaire un siècle plus tard, c'est-à-dire quelques
années seulement après l'invention de Sir Kenelm Digby.
"Midnight modern conversation"
New York, Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection.
Si 1811, mémorable année de la comète, est une année viticole exceptionnelle,
1632 est pour les hélixophiles l'année extraordinaire : année de la conjonction de trois objets quasi-célestes : la bouteille, le bouchon et le tire-bouchon !
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02. L'apparition du mot "tire-bouchon" en France.
Mon propos est ici de mieux dater l'apparition du tire-bouchon en France.
Mon hypothèse de recherche était qu'on devait pouvoir traquer les plus anciennes occurrences du mot "tire-bouchon" dans les publications aujourd'hui numérisées et ainsi dater au mieux l'apparition de l'objet.
J'imagine qu'un même travail pourrait être conduit par des collectionneurs d'autres pays et que nous pourrions ainsi établir une chronologie relative de la diffusion du tire-bouchon dans les pays consommateurs.
• En 2007, Philippe Meyzie, professeur à l'Université Michel de Montaigne à Bordeaux, plaçait le curseur au début du XVIII° siècle.
C'était à l'occasion de son intervention dans un colloque international tenu à Bordeaux et dont les actes ont été
publiés sous le titre Le verre et le vin
de la cave à la table du XVII° siècle à nos jours.
J'ai présenté ce travail dans une fiche bibliographique, cf. :
Philippe Meyzie disait, je le cite :
J'ai présenté ce travail dans une fiche bibliographique, cf. :
Philippe Meyzie disait, je le cite :
"Le
mot tire-bouchon fait son apparition en France au début du XVIII° siècle et,
dans les années 1730, les tire-bouchons commencent à être présents dans les
demeures des notables aquitains. Ces tire-bouchons en fer inspirés des modèles
anglais sont recensés dans les intérieurs nobiliaires dès la première moitié du
XVIII° siècle comme en 1737 dans la demeure du conseiller au parlement de
Bordeaux Labat de Savignac ou dans les années 1750 chez Gilbert de Raymond,
noble de l'Agenais."
• La lecture de ces actes
m'avait donné envie d'aller un peu plus loin :
J'avais bien repéré notre mot dans l'Encyclopédie de
Diderot et dans le Littré, mais
ces traces étaient tardives.
Je repérai encore notre tire-bouchon dans le Dictionnaire Français - Celtique ou Français - Breton publié par le prêtre Grégoire de Rostrenen en 1732 et eus ainsi confirmation des propos de Philippe Meyzie.
Poursuivant mes recherches, je le retrouvai quelque temps plus tard dans Le Voyage du Parnasse d'Ignace François Limojon de Saint-Didier édité en 1716.
Le passage, pages 219-220, est très instructif des mœurs de l'époque. En voici copie :
Mais c'est une ultime lecture qui a justifié la
communication faite devant le congrès :
J'ai retrouvé la "véritable" ORIGINE DU TIRE-BOUCHON,
J'ai retrouvé la "véritable" ORIGINE DU TIRE-BOUCHON,
... du moins l'origine poétique !
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03. L'origine du tire-bouchon selon Alexandre Lainez.
• Consultant la base de données GALLICA, j'eus la chance de retomber sur notre tire-bouchon dans les Poésies d'Alexandre Lainez.
Le
recueil, publié à La Haye en 1753, est posthume. Les poèmes ont forcément été
écrits avant 1710, année du décès de Lainez.
Deux
exemplaires originaux seulement étaient disponibles à la vente : l'un est parti
très vite, j'ai pu acquérir l'autre. Ce recueil est aujourd'hui introuvable.
Lainez
était un poète très connu du XVII° siècle. C'était un esprit libre, un grand
voyageur et surtout un personnage haut en couleurs, apprécié de Colbert et de La
Fontaine.
Il
gardait de ses études à Reims, le goût et la connaissance des vins de champagne.
•
Mais plus que la découverte d'une nouvelle occurrence du mot "tire-bouchon", le meilleur était à
venir :
Alexandre
Lainez nous donnait dans ce recueil un poème justement intitulé L'origine du tire-bouchon !
Le poème nous propose une version divine : les dieux Amour et Bacchus, on le sait, ne font pas bon ménage, mais se rencontrant fortuitement dans un caveau, ils décident de faire la paix et pour sceller leur accord de boire ensemble une bouteille.
Hélas
le bouchon est trop serré et ne peut être retiré sans l'aide d'un outil...
Plus
prosaïquement, les éléments de langage situent ce texte entre 1670 et 1690 :
les bouteilles sont modernes, puisque rangées couchées et superposées ; le Champagne
est du meilleur et vaut celui de l'Abbaye bénédictine d'Hautvillers dont le
cellérier n'est autre que Dom Pérignon ;
le mode de bouchage enfin nous apprend que ce vin est encore un vin tranquille.
•
Voici pour votre plaisir le texte original du poème L'origine du tire-bouchon
par Alexandre Lainez :
Et pour en faciliter la compréhension et la traduction, en voici une version modernisée :
L'ORIGINE DU TIRE-BOUCHON.
Le Dieu du Vin, de son Thyrse étayé (=armé de son bâton),
Faisait trembler l'AMOUR et sa cohorte.
Au seul aspect de cette arme effrayé,
Contre BACCHUS, AMOUR n'avait pas essayé
Les traits et l'arc que contre nous il porte.
Si l'œil à l'aguet, l'un pour sa sûreté
Veillait toujours, l'autre de son côté,
De l'Ennemi redoutant les atteintes,
Ne dormait pas avec tranquillité.
Egalement partagés en leur crainte,
Tous deux vivaient avec civilité,
Quelques égards, des complaisances feintes,
Mais rien de plus. Or, par un cas nouveau,
Il advint qu'un jour dans le fond d'un caveau,
Je ne sais comment, ces Dieux se rencontrèrent :
Ils n'y venaient pas dans cette intention.
Sans se parler, non sans émotion,
Assez longtemps tous deux se regardèrent.
Enfin l'AMOUR, en bégayant de peur,
Fut le premier à rompre le silence.
C'est trop, dit-il au Divin Vendangeur,
De vivre entre nous dans cette défiance,
Soyons unis, frère, faisons la paix,
Délivrez-moi de la frayeur étrange
De votre Thyrse, et je jure en échange,
Que vous serez à couvert de mes traits.
Le Protecteur de la liqueur vermeille,
À ce début rassurant ses esprits,
Pour accepter l'alliance à ce prix,
Ne se fit pas longtemps tirer l'oreille,
Soit, et pour mieux cimenter notre accord,
Il faut, dit-il, vider une bouteille.
Sans hésiter l'autre y topa d'abord,
Quoiqu'il ne soit enclin à ce breuvage :
Pour se sauver du Thyrse redouté,
Il eût fait plus : d'ailleurs dans un traité
De telles façons n'étaient pas en usage.
Plusieurs flacons rangés là par étage,
S'offraient aux yeux de nos deux Contractants :
C'était un tel vin ... qu'Hautvillers, l'Hermitage
N'en donneraient de tel en cent mille ans.
Un clair flacon de la liqueur bachique
De son repaire aussitôt fut tiré,
Mais par un coup de la discorde inique,
Dans le goulot le liège trop serré,
Déconcerta le couple pacifique.
Ils ne savaient comment l'en arracher,
Le cas était d'une extrême importance,
Comment sans vin terminer l'alliance ?
Ce n'était même pas l'ébaucher.
Enfin l' Amour, qui jamais ne s'épuise
En nouveaux traits d'imagination,
Se creusant la tête et pensant à reprise
À quelque tour de son invention,
De celui-ci tout à propos s'avise.
Cet Enfant tire un trait de son Carquois,
Au feu divin de sa torche allumée,
Il l'amollit, la matière enflammée
Qu'il presse, tourne et retourne cent fois,
S'étend, se file en spirale formée.
L'Amour jamais à demi n'inventa,
Et toujours maître en son apprentissage,
À la spirale enfin il ajouta
L'anneau qui paracheva son ouvrage.
-/-
Concluons
donc que nous savons aujourd'hui que le mot "tire-bouchon" était
connu en France avant 1710 : peut-être pourrez-vous reculer encore la date de
cette apparition ? je le souhaite !
Mais
retenons aussi la leçon de Lainez : c'est à l'Amour que nous devons le
tire-bouchon !
M
Bravo Che ami Marc!
RépondreSupprimerVraiment passionnent votre article et votre recherche!
Le mois prochain sortira dans le Magazine portugais « SudioBox » un article que j’ai écrit, concernent également cette question qui nous passionne également. Pourtant avant d’arriver au tire-bouchon j’essaye de reculer plus loin, aux premiers rencontres liège / vin, possible grâce à des conteneurs en terre cuite, car à mon avis c’est là le plus lointain début de notre histoire ; puis, en suite, plus tardivement (et possiblement en Egypte), la rencontre verre / liège… pas encore du vin, mais des parfums précieux… Puis la rencontre bouteille de verre/ vin, cela déjà à l’Empire Roman… Et delà on pourrait partir quasi directement pour la magnifique histoire que vous venez de nous raconter !
Mon article n’est qu’une légère réflexion sur le sujet, car la « Revista StudioBox » est un magazine tous publics et je craignais devenir trop fastidieux ; je me demande même si ce ne sera déjà le cas…
Encore une fois, bravo et un grand Merci par vos études, pour cet article et bien aussi par ce Magnifique Blog !
Bien amicalement,
Lopo de Castilho – responsable du projet Museu do Saca-Rolhas
Merci Lopo pour ce commentaire trop élogieux mais qui flatte bien sûr ma vanité !
RépondreSupprimerJe tiens ce travail à votre disposition s'il peut s'intégrer dans votre publication et serai heureux en retour de pouvoir lire, voire publier si vous en étiez d'accord, l'article que vous avez préparé pour Studiobox.
Amicalement,
Marc