vendredi 24 octobre 2025

TABLETIERS ET TIRE-BOUCHONS

 
Amis blogueurs, bonjour !


Concernant la fabrication des tire-bouchons, il est des questions trop rarement évoquées.
Ainsi par exemple : 

Qui faisait les poignées en ivoire, os, corne ou nacre ? Celles en bois exotiques ? Celles en bronze ou en métaux précieux ?


L'art des manufacturiers d'acier poli se révélait dans l'imagination et la mise au point d'ingénieux mécanismes, leur polissage et leur assemblage, et pour quelques-uns dans la fabrication de mèches, ouvragées ou non.
Mais les poignées, nécessitant un montage associant l'acier à d'autres matériaux, étaient le plus souvent sous-traitées et c'était là que pouvait intervenir une corporation qui reste à étudier : celle des tabletiers, très représentée dans certaines régions, comme la Seine-Maritime autour de Dieppe, le Puy-de-Dôme autour de Thiers ou l'Oise autour de Méru.


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La tabletterie dans l'Oise


Selon Wikipédia, les "tabletiers", ou "ceux qui font tables à écrire", constituent une des premières organisations de métier, entérinée par le Livre des métiers d'Étienne Boileau, rédigé en 1268.
Les tabletiers (titre LXVIII) travaillaient l'ivoire, la corne ou le bois dur (hêtre, buis, cèdre, ébène, brésil, cyprès) pour fabriquer de minces plaquettes enduites d'une couche de cire, sur lesquelles on pouvait écrire avec un stylet et qu'on portait suspendues à la ceinture, telles les tablettes de cire.



Tablettes à écrire, étui et stylet vers 1330-1340 : 
des bloc-notes avant l'heure ! (Wikipédia)


Un statut de 1485 mêle dans la même corporation "peigniers et tabliers" et, en 1407, "peigniers, tabletiers, tourneurs et tailleurs d'image".
Les tabletiers fabriquaient déjà d'autres tablettes que celles à écrire : les tables de jeux, damiers et échiquiers, puis, en association avec les tourneurs, les pièces de jeux : pions, pièces d'échiquiers... ou, avec les déciers (fabricants de dés) : les dés à jouer, les dominos... 
L'association avec les peigniers leur offrait surtout un autre débouché : le sciage des os (de bœuf essentiellement) en plaquettes pour la fabrication des peignes.



Costume d'un Tabletier, vers 1700 (Image internet).


Au XVIIIe siècle, nous dit Laurence Bonnet dans son ouvrage "La nacre - la tabletterie, le bouton, l'éventail", les fabrications se sont considérablement diversifiées, entre :
- objets usuels : peignes, boutons, lunettes, cannes, souvenirs, éventails...
- objets religieux : croix et christs de buis ou d'ivoire...
- de nombreux jeux : échiquiers, damiers, lotos, trictracs, bilboquets, jeux d'osselets...
- boîtes : tabatières, étuis, coffrets, nécessaires...
... autant d'objets auxquels on peut ajouter les cornes à lanterne (diffuseurs de lumière) ou les cadrans d'horloge.
Les tabletiers travaillent aussi pour les couteliers, fabriquant et décorant les "côtes" fixées de part et d'autre de la "soie" des couteaux... c'est dire que nos tire-bouchons ne sont pas loin !

Leurs règlements corporatistes protégeaient les tabletiers, mais luttaient aussi contre les malfaçons ou les tromperies.
Laurence Bonnet indique ainsi que "les tabletiers n'avaient pas le droit d'associer des manches de couteau en os à des garnitures en argent, pour éviter que le client ne puisse confondre l'os avec l'ivoire, matériau plus noble."


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L'émergence des "ouvriers de métier"


L'outillage demandant peu de place en l'absence de machines, les tabletiers de l'Oise du XIXe siècle - et leur famille, femme et enfants -  travaillent le plus souvent à domicile, dans leurs "boutiques", petits ateliers installés au plus près de leur habitation, plutôt que dans l'usine d'un fabricant. Et ce système perdure, génération après génération.
C'est l'irruption du machinisme et la spécialisation des fabricants qui va entraîner le regroupement des ouvriers dans les usines, mais aussi dégager progressivement une élite ouvrière. Ces "ouvriers de métier" maîtrisent mieux que d'autres la conception des objets de tabletterie : après un long apprentissage, ils sont instruits, connaissent techniques et matériaux, savent dessiner, s'intéressent aux arts et à la politique. Ce sont ces "ouvriers de métier" qui sont à l'origine des premières organisations ouvrières : coopératives et syndicats, jusqu'aux grandes grèves de 1909, lors desquelles ils entraînent avec eux ouvriers, femmes et enfants.



archives.oise.fr


Mais surtout, les "ouvriers de métier" aiment innover, revendiquent la perfection dans l'exécution et parviennent ainsi à valoriser leur travail.


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Les "monteurs en acier"


Parmi eux, certains, probablement déjà sous-traitants pour des couteliers, vont s'intéresser à la fabrication de poignées adaptées aux tire-bouchons que fabriquent les manufacturiers en acier poli, comme ceux qui se sont installés à proximité à la fin du XIXe siècle : Jules Clément Hurel à Hermes et Adolphe Pecquet à Bailleul-sur-Thérain. 



Deux tire-bouchons Pecquet


L'exemple ci-dessus montre deux tire-bouchons en "T" de Pecquet :
- à gauche, la poignée est en os rivé sur ébène (ou bois teinté),
- à droite, la poignée est en corne blonde goupillée.
Si les mèches sont de qualité et correspondent bien à la raison d'être d'une manufacture d'acier poli, les poignées en os, bois ou corne, ne sont à l'évidence pas des fabrications "maison" et ont dû être sous-traitées.

La plupart des tabletiers s'essayant au façonnage de poignées s'arrêteront là et resteront à jamais anonymes, mais quelques-uns iront plus loin, jusqu'à assembler eux-mêmes les tire-bouchons.
Deux d'entre eux ont pu être identifiés : 

- Les Bailly-Duroyaume à Cauvigny,
François Xavier Bailly (1816-1893) est le premier à être identifié comme fabricant de tire-bouchons, traduisons : il devait être sous-traitant et monter des poignées en os, ivoire, nacre, bois… sur des tire-bouchons produits par des manufactures d’acier poli.
Son fils ainé, Eloi Xavier Désiré Bailly (1840-1905) et son épouse Antoinette Marie Claudine Duroyaume (1841- 1933), tous deux ouvriers en brosserie-tabletterie, reprennent la fabrication de tire-bouchons, devenant "monteurs en acier", peut-être pour Hurel ou Pecquet.



Kelly's Directory of Merchants, Manufacturers and Shippers - 1907 
(books.google.fr)

 
Leur fils, Arthur Bailly (1868-1926), leur succède et donne également comme profession "monteur en acier". La trace se perd après son décès.

- Achille Mallet à Mouchy-le-Châtel, figure lui aussi dans les annuaires de l'époque comme "monteur d’acier poli, tire-bouchons". 



 Annuaire statistique et administratif 
du département de l'Oise et du diocèse de Beauvais


D'autres "ouvriers de métier" ont certainement suivi le même chemin, donnant de belles poignées très travaillées, et dans les matériaux les plus divers, aux manufacturiers d'acier poli donneurs d'ordre. 




J'ai un faible pour ce petit tire-bouchon, patiné et usé par le temps, doté d'une banale mèche en queue de cochon, mais à la poignée de corne délicatement décorée d'un médaillon en forme de lyre entre des ailes déployées : imagine-t-on un manufacturier commander ce beau travail pour le doter d'une mèche aussi basique ? il est plus vraisemblable qu'un tabletier s'est plu à graver cette poignée sans trop se soucier de le doter d'une belle et solide mèche.


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Mais comment identifier les tabletiers "monteurs en acier" ? Peut-être avec des factures d'époque ?



M

dimanche 19 octobre 2025

BOURSE DES TIRE-BOUCHONS A BOURGES

 
Amis blogueurs, bonsoir !


Retour sur la Bourse du Club Français du Tire-Bouchon à Bourges ce samedi 11 octobre 2025.


Tout a été dit et présenté sur les réseaux sociaux : difficile donc d'en rajouter, d'autant que je n'ai guère fait de photos.
Un petit mot pour féliciter les organisateurs, Martine et Frédéric Romain : tout était parfait, ... sauf moi !



Restaurant "Les Petits Plats du bourbon", 
dans l'ancienne abbaye du XVIIe siècle (photos Martine Romain).


Ayant subi une petite opération au front, les amis (les amis ?) n'ont pas manqué de me brocarder :




Tous malades ? Tous scotchés ?


La farce, même à mes dépens, illustre la bonne ambiance qui régnait entre nous.


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Gérard Frobert


La bourse fut aussi pour nous tous une belle occasion de retrouver l'ami Gérard Frobert, ce grand multicollectionneur, venu avec quelques objets insolites :



Devant Martine Romain, Frédéric salue son parrain Gérard Frobert


Quelques-uns des objets appartenant à Gérard


On devine, à gauche sur ma photo, un sabot de cheval et son fer : Gérard Frobert collectionne aussi... les fers à cheval orthopédiques !


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Et les tire-bouchons ?


Je suis reparti content :
- essayant de pratiquer des prix raisonnables, j'en ai cédé quelques-uns,
- et j'en ai acheté deux : une poignée de bronze Gagnepain et un poisson Pecquet, qui suffisent à mon bonheur :




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Le retour


Nous sommes rentrés en groupe, par le chemin des écoliers, évitant toutes les lignes droites, chinant où nous pouvions, de l'Indre jusqu'à la Sarthe, de Reuilly jusqu'à Malicorne, ajoutant des trésors à nos trésors :





Tout ne vaut pas, mais tout me plait, du canif LE CLOU DE L'EXPOSITION DE 1900 au petit cadenas à la combinaison perdue ; du laguiole CALMELS au couteau publicitaire KOTO dont le slogan nous explique qu'il "donne du courage pour réussir dans la vie" ; et surtout la dague de vertu ou pique-couille, arme de défense des prostituées du XIXe siècle.


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On repart quand ?



M

jeudi 16 octobre 2025

ENIGMA N° 87 : QUI IDENTIFIERA LE TIRE-BOUCHON DE GERARD ROUSSELLE ?

 

Amis blogueurs, bonjour !


Je n'ai pas beaucoup de photos de la Bourse d'échanges du CFTB et ne sais pas si je pourrai rédiger rapidement un compte rendu...
Mais en attendant, c'est un fidèle lecteur, bien connu des collectionneurs français, Gérard Rousselle, qui nous propose l'article du jour :

ENIGMA N° 87 : LE TIRE-BOUCHON DE GERARD ROUSSELLE


Il nous demande simplement si nous pouvons l'aider à identifier une récente trouvaille : un tire-bouchon en "T" haut de 11 cm, non marqué, doté d'une mèche tranchante au fût simple et d'une poignée ressort longue de 10 cm.
Voici l'essentiel de son message
"J'ai fait dernièrement l'acquisition d'un tire bouchon dont j'ignore l'origine ? J'ai eu l'idée de l'apparenter "dans le goût de Pecquet", mais je n'en ai pas trouvé trace,  alors je me suis dit que je pourrais peut-être poser la question sur ton blog !?"
Voilà donc qui est fait !







Un cylindre de bois est inséré dans la poignée , comme c'est le cas pour deux tire-bouchons produits par Pecquet : le "4 As" n° 100 et le "Dentelle" n° 99 :



Catalogue Pecquet, page 13


C'est ce qui a conduit Gérard à se demander si Pecquet aurait pu être à l'origine de cette fabrication ?


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Par acquit de conscience, j'ai moi aussi vérifié dans mes catalogues Pecquet, mais je n'ai pas retrouvé ce modèle, ni rien d'approchant.
Et il me semble contradictoire de doter un tire-bouchon d'une poignée en ressort et d'entraver l'action de ce ressort par l'insertion d'un cylindre de bois.
L'examen des autres photos transmises par Gérard, me font plutôt pencher pour une fabrication artisanale, le fût de la mèche ayant été soudé à un ressort :








Mais peut-être connaissez-vous ce modèle ? Je serais heureux que vous livriez votre sentiment, si possible argumenté, à Gérard.
Merci par avance pour vos contributions.



M


jeudi 2 octobre 2025

TIRE-BOUCHONS : JHP ou J-P, LES MARQUES DE FABRIQUE DÉPOSÉES PAR PÉRILLE

 
Amis blogueurs, bonsoir !


J'ai évoqué dans un récent article 

les marques de fabrique déposées par Jacques Pérille.



Marque figurant au fronton de l'usine Pérille, 
retrouvée par Gérard Bidault




L'usine Pérille à Mouroux, avec le sigle au fronton



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Le contexte de la fin des années 1870


Le contexte, c'est celui du procès en contrefaçon intenté et perdu par Jacques Pérille contre Louis Eugène Trébutien :

- Jacques Pérille, champion avant l’heure de la « veille technologique », s’inspire de ce que fait la concurrence française, mais aussi anglo-saxonne, pour devenir fabricant, créer des modèles qu’il fait breveter et déposer ses propres marques.
- C'est ainsi qu'il présente en public en 1876 un "tire-bouchon à hélice", probablement inspiré des fabrications des américains Philos et Eli Whitney Blake, et dont il revendique l'invention : le modèle est retenu pour l'Exposition Universelle de Paris 1878 et va y obtenir un grand succès.
- Le premier brevet pour ce tire-bouchon à hélice est demandé par Pérille le 14 avril 1876 et obtenu le 16 juin 1876 sous le numéro 112 465 : il est donc antérieur à l'Exposition Universelle, mais postérieur à la présentation en public.
- Après l'Exposition, Louis Eugène Trébutien s'engouffre dans la brèche et copie sans vergogne le tire-bouchon à hélice de Pérille, nouveauté consacrée par son succès.
- Décidé à faire condamner Trébutien pour contrefaçon, et voulant renforcer ses arguments, Pérille dépose alors deux marques de fabrique le 26 février 1879 - donc après l'Exposition Universelle - auprès du Greffe du Tribunal de la Chambre de Commerce de la Seine.

Note : Les deux précieux documents qui suivent ont été retrouvés il y a quelques mois par notre amie Pascale Lhermitte et ont été reproduits dans mon livre "Tire-bouchons Français – Fabricants, Catalogues et Documents Commerciaux".



"JHP" - Dépôt de marque du 26 février 1879 
enregistré au Greffe du Tribunal de Commerce de la Seine sous le n° 12 600.



"Tire-bouchons à hélice" - Dépôt de marque du 26 février 1879 
enregistré au Greffe du Tribunal de Commerce de la Seine sous le n° 12 601.


- Mais ces démarches a posteriori ne changeront pas le cours du procès, la Cour de cassation rejetant un ultime renvoi de Jacques Pérille le 26 janvier 1884.
- De nombreux autres fabricants copieront alors à leur tour le tire-bouchon à hélice de Pérille. Le procès fait jurisprudence et la leçon retenue du plus grand nombre : il faut protéger avant d'exposer !


Il me fallait rappeler ces faits, mais ce n'est pas là le propos du jour. C'est sur la première marque de fabrique déposée que j'attire votre attention :


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JHP et non JP !




Extrait du dépôt de marque JHP N° 12 600


Le déposant mandataire de Jacques Pérille précise bien : 
"Ladite marque se compose des lettres J H P groupées comme ci-contre et pouvant être reproduites seules, ou en combinaison avec un cercle, un compas, etc... etc."
Le sigle est donc bien composé des lettres J H P groupées... et non J P ! 


L'acte de baptême de Pérille est pourtant sans équivoque : fils d'André Pérille (1813-1892) et Madeleine Emerencienne Hattier (1818-1894), il est né le 22 décembre 1837 à Joigny (Yonne) et a été prénommé Jacques Augustin, sans autre prénom commençant par la lettre H.



Acte de baptême de Jacques Augustin Pérille


A quoi pouvait donc correspondre la lettre H ? 
Nous ne le saurons probablement jamais, mais les contemporains de Pérille ont préféré y voir ses seules initiales J et P, reliées par un tiret.
Et nos fondateurs, de bonne foi, s'y sont fait prendre. 
Gérard Bidault écrit ainsi, dans "Les tire-bouchons français - Modèles et fabricants" :
Le sigle "JP" déjà déposé par Jules Piault avant lui, sera assemblé comme on le connaît par une barre de liaison. Il est, durant les premières années de fabrication, surmonté d'un compas. Ceci étant clairement établi, qu'on ne parle plus jamais de J.H.P."

Et pourtant il le faudra, jusqu'à pouvoir expliquer la raison de la présence de ce "H" !


Additifs du 5 octobre 2025 :

1. En commentaire à cet article, notre ami Lionel évoque une possibilité : la mère de Jacques Pérille est née Hattier avec un bel "H" . Il y a d'ailleurs une magnifique signature sur l'acte de naissance de Jacques avec "Pérille Hattier". Ne faut-il pas voir ici cette présence originale du H dans JHP ? 

2. J'y avais aussi pensé, mais en 1879, Jacques Augustin Pérille a 42 ans, et est marié depuis 17 ans à Marie Emelie Regniaud. Au XIXe siècle, associer le nom de son épouse était fréquent, mais pas celui de sa mère au détriment de celui de son épouse... Bien sûr, on ne peut écarter définitivement ton hypothèse. J'avais aussi essayé de rechercher d'éventuels descendants, lesquels auraient peut-être pu nous aider à comprendre, mais parmi les trois fils de Jacques Pérille, seul André Henry s'est marié et aucun ne semble avoir eu d'enfants...

3. Cf. mon livre "Tire-bouchons français - Fabricants, catalogues et documents commerciaux" :
En 1909 encore, lors de la prorogation de leur société, les Fils de Pérille confirment : le "groupement des lettres J.P. imprimées en mêmes caractères et avec la même combinaison de couleurs, est entrelacé de la même manière que les lettres J.P. de la société J. Pérille et de façon à former les lettres J.H.P." … pas "J-P", mais "J.H.P.", comme leur père avait enregistré sa marque quelques trente ans plus tôt !


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Une autre marque déposée par Jacques Pérille


Il est difficile de retrouver une marque de fabrique parmi les dizaines de milliers déposées à la fin du XIXe siècle et conservées par familles de métiers et par ordre chronologique sur le site de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).
Ne pouvant effectuer une recherche à partir des noms des déposants, il est impossible de lister de manière certaine et exhaustive leurs marques de fabrique successives.

Concernant Jacques Pérille cependant, nous avons retrouvé un autre dépôt de marque en 1892, pour le tire-bouchon DIAMANT qui avait été breveté en 1888 :



"Diamant" - Dépôt de marque du 11 octobre 1892
enregistré au Greffe du Tribunal de Commerce de la Seine.



La marque réunit bien les lettres JHP, comme l'avait voulu Jacques Pérille, suivies des mentions PARIS. Bté S.G.D.G. N° 186.560 24 OCT. 1887. DEPOSE.
Le brevet avait été délivré le 19 janvier 1888.


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Et le dépôt de marque nous offre - comme une preuve - la signature de Jacques Pérille :






M


jeudi 25 septembre 2025

TIRE-BOUCHON "J.C.P." : UN JULES PIAULT PEUT EN CACHER UN AUTRE

 


Amis blogueurs, bonsoir !


Un échange récent avec notre ami Bernard Devynck m'a conduit à reprendre encore et encore l'enquête sur la famille Piault.


Voici un extrait de son message :

"Comme tu l'indiques, Jules Piault dépose un rapport de présentation du 21 mars 1883 à la chambre de commerce de Paris, contre l'importation de produits frauduleux estampillés "PARIS" ou portant la mention "parisien". Ceci lui vaut-il reconnaissance, pour une nomination de Chevalier de légion d'honneur en septembre 1883, c'est ce que j'ai retrouvé sur le site www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr et plusieurs éléments constitutifs de cette nomination émanant de Jules Piault, fabricant de coutellerie à Paris [notamment celui] qui statue et acte sa date de naissance : né le 17 mars 1828 de parents, François Piault, coutelier et de Rose Denichère.
Donc toujours incertitude sur sa date de décès, mais une autre proposition de naissance. 
Peux-tu vérifier la source de ta date du 4 octobre 1824 ?"


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Vérifier la date du 4 octobre 1824


De fait, Bernard Devynck touche du doigt un problème : deux couteliers contemporains tous deux nommés Jules Piault, sans autre prénom, sont nés à Châtellerault, l'un en 1824, l'autre en 1828.
A partir de là, tout s'embrouille : celui qui a commercialisé le tire-bouchon à hélice marqué "PARIS J.C.P." n'est pas le bon !


Dans son Dictionnaire du tire-bouchon français, Gérard Bidault écrit à propos de Jules Piault :
"Ancienne maison de coutellerie qui possède des ateliers de fabrication à Langres et à Nogent-en-Bassigny, mais le principal se trouve à Châtellerault. Elle possède également depuis 1820, un magasin de vente parisien, 18 rue Greneta.
Lorsque ce descendant reprend l'activité en 1860, la maison va développer une solide réputation pour la qualité de sa production. Il a déposé le sigle "J.P" dans un cercle surmonté d'une couronne.
Le seul modèle de tire-bouchon connu de cette maison est un modèle à hélice, marqué à son nom, avec la mention "Breveté", dont la fabrication était certainement sous-traitée.
Il va exercer par la suite avec son fils qui marquera ce modèle hélice de son sigle "J.C.P." et au dos "Paris" où il tient magasin et fabrique 68 rue de Turbigo;
Il décède à Rochefort-sur-Mer en 1878."

... et je lui ai emboîté le pas ! Mais nous nous trompions tous les deux et les imprécisions et erreurs des sites généalogiques ne nous ont pas aidés !


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Le premier Jules Piault


Le premier Jules Piault est né le 4 octobre 1824 à Châtellerault (Vienne), fils de Jacques Piault, coutelier, et Marie Pagé, elle-même issue d'une famille châtelleraudaise de couteliers.
[Pagé ? Comment ne pas penser ici à un autre châtelleraudais, Camille Pagé, l'auteur de "La Coutellerie depuis l'origine jusqu'à nos jours", ouvrage consulté pour le présent article].
Ce Jules Piault s'est marié en 1848 avec Adèle (ou Adélaïde) Daillé (1829-1902) et en a eu trois enfants : 
- Adelson (1850- vers 1930), qui sera voyageur de commerce,
- Juliette Marie (1857-1936), sans profession, qui épousera un menuisier,
- Eugène Charles (1860-1942), horloger de formation, qui s'engagera comme armurier dans l'armée de 1879 à 1900.

J'écrivais dans un précédent article que, selon Gérard Bidault, le marquage "J.C.P." de l'hélice Piault, datait de la période ou Jules Piault avait associé son fils Eugène "Charles", "J.C.P." correspondant donc à Jules et Charles Piault.
J'ajoutais que cette période d’association entre Jules et Charles Piault - si elle avait existé - avait forcément été très courte, puisque Charles, né en 1860, s’était engagé dans l'armée dès 1879... d'autant que son père était décédé à Rochefort en 1878, selon Gérard Bidault !

Mais cette dernière date n'était pas non plus la bonne. J'ai fini par retrouver les curieuses circonstances du décès de Jules Piault : il a été trouvé mort sous un pont, dans la commune d’Yves, Charente inférieure, le 29 novembre 1866, et a d’abord été enregistré comme inconnu. Un acte rectificatif a établi son identité six mois plus tard, le 2 avril 1867.



Acte de décès de Jules Piault 
rectifié par jugement du tribunal civil de Rochefort


Cette disparition de Jules Piault en 1866 modifie quelque peu l'analyse :
- 1866, c'est dix ans avant l'invention du tire-bouchon à hélice... ce Jules Piault là ne pouvait pas en avoir passé commande à Jacques Pérille !
- Ce n'est non plus lui qui aurait pu présenter un rapport à la Chambre de Commerce de Paris en 1883 !
- En 1866, ses enfants devenus orphelins ont respectivement 16, 9 et 6 ans ! 
- Le benjamin, Eugène Charles, ne deviendra pas coutelier : il ne commencera sa formation d’horloger que des années plus tard, avant de s'engager dans l’armée à 19 ans.
- Evidemment, Jules Piault là ne pouvait pas non plus être associé à Louis Leroy, repreneur de l'entreprise éponyme, en 1885.

Conclusion : ce n'est pas le bon Jules Piault !


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Le second Jules Piault


Le second Jules Piault, ou "Piault fils", est né le 17 mars 1828, également à Châtellerault, de François Piault, coutelier, et de Rose Denichère.
Il épouse à Paris, en 1859, Jeanne Elisa Nivoit (1837-1918), laquelle accouchera d'un enfant sans vie en 1860. Le couple n'aura pas d'autre enfant.

Héritier d'une grande famille de couteliers ayant des ateliers à Langres, Nogent-en-Bassigny et Châtellerault, Jules Piault succède à son père, fondateur de l'entreprise en 1830 et en prend les rênes en 1865, avec fabrique au 68 rue de Turbigo et magasin au 18 rue Greneta à Paris. Ses fabrications, services et orfèvrerie de table notamment, sont très appréciées d'une clientèle fortunée.
La marque de fabrique est d'abord composée d'un ovale marqué au nom et à l'adresse de l'entreprise et entourant les initiales J.P surmontées d'une couronne royale :




Cette marque a évolué ensuite pour devenir :
- un cercle dentelé, entourant la couronne royale, laquelle rappelle que "Piault père" avait été fournisseur de la Cour avant le Second Empire, 
- les initiales de "Piault fils", "J.P.", 
- et la mention "Bté S.G.D.G." (mention légale établie en 1844).




Nous ne reviendrons pas sur la paternité du tire-bouchon à hélice "J.C.P." que nous attribuons à Jacques Pérille... un Jacques Pérille qui devra se distinguer de ce marquage, mais s'en est peut-être inspiré !


Rien d'étonnant à une telle commande : le grand coutelier Jules Piault "Fils" et l'inventif  fabricant d'acier poli Jacques Pérille sont contemporains et se connaissent : 
- tous deux participent ainsi à l'exposition universelle de Paris en 1878, ... en même d'ailleurs qu'un certain Louis Eugène Trébutien !
- ils se retrouvent aussi en 1883 pour représenter la France à l'exposition internationale d'Amsterdam :



Catalogue officiel de l'exposition internationale, coloniale et d'exportation générale
d'Amsterdam, 1883


Jules Piault œuvre pour la protection de la production française et est l'auteur d'un rapport présenté le 21 mars 1883 à la Chambre de Commerce de Paris contre l'importation de produits frauduleux estampillés "PARIS" ou portant la mention "... parisien". On l'imagine donc mal copiant ou faisant copier par un autre l'invention de Jacques Pérille.
Ses mérites sont reconnus par une nomination de Chevalier de la Légion d'honneur en septembre 1883. Ces éléments ont été retrouvés par Bernard Devynck sur le site www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr. 



Etat des services rendus par Jules Piault


Et, vers 1885, Jules Piault, faute d'avoir un héritier, s'associe à son futur repreneur, Louis Leroy.



Le Panthéon de l'industrie : journal hebdomadaire illustré 01.01.1895


En 1910, l'entreprise passera aux mains de Robert Linzeler.
Jules Piault, dit "Piault fils", meurt en 1916.


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C'est en tout cas pour ce Jules Piault là, dit "Piault fils", coutelier, et non pas pour son homonyme également coutelier, que Jacques Pérille a fabriqué un tire-bouchon à hélice marqué J.P ou J.C.P sous une couronne dans un cercle dentelé.


Marquage J.P 
Les tire-bouchons français Gérard Bidault



Deux questions demeurent :
Comment dater la fabrication ? Le créneau est finalement plus ouvert que nous le pensions : 
- dans tous les cas, cette fabrication intervient entre le dépôt de brevet par Pérille en 1877 et l'association Piault-Leroy en 1885, 
- et très probablement entre le dépôt par Pérille de ses marques de fabrique en 1879 et le rapport de Piault présenté en 1883, période pendant laquelle le premier va perdre son procès en contrefaçon intenté à Trébutien.





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A qui correspond le "C" du marquage "J.C.P."


Gérard Bidault pensait que ce sigle datait de la période où Jules Piault avait associé son fils Charles, et que "J.C.P." correspondait donc à Jules et Charles Piault. Mais on voit bien que c'est impossible : Eugène "Charles" Piault est le fils de l'autre Jules Piault, et Jules Piault dit "Piault fils" n'a pas eu de descendance, alors ?

Nos recherches sur le site de l'I.N.P.I. ne nous ont pas permis de retrouver le dépôt de marque de fabrique "J.P à la couronne" de Jules Piault, ni celui "JHP au compas" de Jacques Pérille... mais ces marques ont-elles été déposées ?

Lionel Belhacène rappelle que "J et P", c'est aussi Jacques Pérille et se demande s'il ne faut pas voir ici un premier marquage (jusqu'à l'exposition) avec toujours ce "C" qui reste inexpliqué ? 
L'idée est intéressante et... sortirait Jules Piault du jeu !


Nous nous arrêterons sur ces questionnements !
Merci à François, Lionel et Bernard pour leurs contributions.



M

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