jeudi 27 novembre 2025

ÉLÉMENTS INÉDITS SUR LA COUTELLERIE THUILLIER-LEFRANT

 

Amis blogueurs, bonjour !


Dix années ont passé depuis la publication de mon article



Et ce matin, je reçois de nouveaux éléments intéressants sur cette coutellerie :

"Bonjour, 
Je viens de trouver dans les archives de ma maman une photo des objets fabriqués par cette usine lorsque mon grand-père Roger Falc'her en était le directeur, vers 1949-1950. Je vous la joins."



Productions Thuillier-Lefrant (document Erick Falc'her-Poyroux).


Un lien vers le site de l'auteur du commentaire, Erick Falc'her-Poyroux, éclaire ma lanterne : 
"Je suis né en 1964 à Nantes, en Bretagne, et l'Irlande est mon pays d'adoption depuis plus de 40 ans : J'ai rédigé ma thèse de doctorat en 1996 sur "L'identité musicale de l'Irlande" et j'ai traduit ou publié plusieurs livres sur l'Irlande.
J'ai également publié un livre sur les idées reçues sur les Beatles.
En grande partie grâce à ces deux passions, je suis un musicien éclectique et Professeur des Universités en études irlandaises et britanniques à l'université de Tours."


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Les Etablissements Thuillier-Lefrant


Erick Falc'her-Poyroux nous a joint deux autres photos  :
- une de son grand-père, Roger Falc'her, directeur de l'usine Thuillier - Lefrant, vers 1949-1950 :



Roger Falc'her


- l'autre photo reproduit une carte postale ancienne montrant une vue générale de Nogent :



Vue générale de Nogent (52)


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Nogent, mais quel Nogent ?


Historiquement pays de taillandiers, la ville de Nogent en Haute-Marne devient à la fin du XVIIIe siècle un important centre de coutellerie, notamment militaire (fabrique de sabres et de baïonnettes pour les armées révolutionnaires) et de cisellerie, particulièrement chirurgicale, ce qui lui a valu d'être surnommée "Nogent-les-Couteaux" au XIXe siècle. 
Nogent, du bas latin "Novigentum" signifie "village nouvellement créé". Ce nom désigne plusieurs villes françaises : Nogent-sur-Seine, Nogent-sur-Oise, Nogent-sur-Aube, Nogent-le-Rotrou, Nogent-le-Bernard et bien d'autres...

De là vient qu'on a parfois du mal à identifier la bonne ville, surtout quand elle a plusieurs fois changé de nom ! 
La nôtre, appelée Nogent-le-Roi sous l'Ancien Régime, est devenue Nogent-Haute-Marne sous la Révolution, avant de retrouver le nom de Nogent-le-Roi sous la Restauration,  pour finalement (?) adopter celui de Nogent-en-Bassigny, en 1890.


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Thomachot et Thuillier-Lefrant


Rappelons que l'entreprise Thuillier-Lefrant revendique une création en 1827. Cette datation semble cependant incertaine.
Un certain Thomachot aurait alors construit une usine de taillanderie à Nogent pour y fabriquer sécateurs et cisailles... mais ce Claude Thomachot (1836-?) est né trop tard pour cela. Il est clerc de notaire avant d'épouser l'héritière de la coutellerie Thuillier-Lefrant, coutellerie bien attestée à Nogent, au moins depuis 1860 :



Compte rendu de l'exposition industrielle, agricole, horticole de Saint-Dizier 1860. 
Le livre d'honneur des exposants. Journal La Haute-Marne. 


1863 : Claude Thomachot épouse Hélène Thuillier, fille de Claude Thuillier (1813-?) et de Geneviève Lefrant, patrons de la coutellerie Thuillier-Lefrant.
Depuis plusieurs générations, les Thuillier sont ou bijoutiers, ou couteliers-ciseleurs... ce qui explique peut-être la revendication d'une fondation de l'entreprise en 1827 ?
1872 : Henri, frère d'Hélène et héritier de la coutellerie Thuillier-Lefrant, décède à l'âge de 35 ans.
1876 : Claude Thomachot et son beau-père Claude Thuillier participent ensemble à une exposition à Philadelphie et y sont distingués pour les ciseaux de leur fabrication (Le Temps du 12 janvier 1877).
1877 : Claude Thomachot succède à son beau-père, mais conserve la raison sociale Thuillier-Lefrant. L'usine, construite au lieu-dit Côte-Taillée, à Nogent (Haute-Marne), prend le nom de Thuillier-Lefrant. 
1981 : un siècle plus tard, l'entreprise deviendra Outils P.A.M.



Vue de l'usine de taillanderie Thuillier-Lefrant, aujourd'hui Outils P.A.M.


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Et les tire-bouchons dans tout ça ?


La réponse serait plus facile si nous possédions un catalogue des Etablissements Thuillier-Lefrant, mais ce n'est pas le cas.
Un exemplaire d'un catalogue de 1932 est accessible sur le forum COUTEAUX DE POCHE ET DE COLLECTION avec le lien suivant :



Couverture catalogue N° 30 de 1932
(Forum Couteaux de poche et de collection)


On peut y voir beaucoup de cisailles, sécateurs, pinces, brucelles, ciseaux, greffoirs et outils de boucher... mais je n'y ai pas trouvé de tire-bouchon, ni même la magnifique boucheuse à crémaillère que j'avais été chanceux de trouver en brocante :




Le marquage "N° 31",  et non "N° 30", laisse cependant supposer que cette boucheuse a été fabriquée plus tardivement :




Et puis, rendons-nous à l'évidence : aucun tire-bouchon marqué n'ayant été retrouvé, il est quasiment certain que l'entreprise Thuillier-Lefrant n'en a pas fabriqué.


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Merci à Erick pour sa contribution, en espérant qu'elle suscite d'autres compléments sur la Maison Thuillier-Lefrant.



M

dimanche 23 novembre 2025

ENIGMA N° 88 : PAS UN TIRE-BOUCHON, MAIS UN OUTIL MARQUÉ "MF GRENADE ST-ÉTIENNE"

 

Amis blogueurs, bonsoir !

Voici une nouvelle énigme, proposée par notre ami Gérard Rousselle :

ENIGMA N° 88 : PAS UN TIRE-BOUCHON, MAIS UN OUTIL MARQUÉ "MF GRENADE ST-ÉTIENNE"


Bon nombre d'entre vous auront vu sur Facebook la photo de sa récente chine : je me demande souvent comment il fait, moi qui arpente les brocantes sans grands résultats depuis des semaines !



Récente chine de Gérard Rousselle


Des tire-bouchons, des canifs et deux outils mystérieux...

Et c'est l'un de ces outils qui nous vaut l'énigme du jour. En voici une photo :



L'outil énigmatique


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L'outil m'a bien sûr fait penser d'abord à un tire-bouchon en "T", muni d'un protège-mèche, mais évidemment ce n'est pas ça.
Il est en acier massif et mesure 180 mm de longueur totale. La poignée est fuselée pour une bonne prise en mains :



Une poignée fuselée


L'axe est de section hexagonale, et son épaisseur diminue régulièrement de 13 mm en partie haute, jusqu'à 4 mm en partie basse. Cinq faces sont légèrement striées longitudinalement, la dernière l'est en oblique par rapport à l'axe.




Cinq faces striées longitudinalement, une en oblique


Le meilleur indice est évidemment le marquage de l'objet : 
- la marque déposée, avec les lettres MF frappées sur une grenade et accompagnées du texte GRENADE ST-ÉTIENNE, 
- l'ensemble constituant le logo de la Manufacture Française d'Armes (d'où la grenade...) et Cycles de Saint-Étienne, mieux connue sous le nom de MANUFRANCE, un logo utilisé essentiellement entre les deux guerres.




Le logo


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Tout comme Gérard Rousselle, j'ai bien une idée de ce que peut être cet outil, mais je préfère ne pas vous la livrer. 
Attendons plutôt vos propositions que je ne manquerai pas de publier !



M




lundi 17 novembre 2025

RENCONTRE ENTRE GÉRARD DANGERS ET JACQUES PÉRILLE

 
Amis lecteurs, bonsoir !


Voici l'histoire inédite de 

la rencontre entre Gérard Dangers et Jacques Pérille

telle que Gérard a bien voulu me la confier.


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Il arrive parfois, au hasard d’une vente ou d’un lot poussiéreux, qu’un tire-bouchon pourtant bien connu se charge soudain d’une densité nouvelle. Une anomalie infime, un détail presque invisible, vient alors fissurer la routine du collectionneur et laisser surgir une foule d’interrogations.
C’est ce qui arriva à mon ami Gérard Dangers, hélixophile rigoureux, connaisseur scrupuleux de l’œuvre de Jacques Pérille, et collectionneur suffisamment expérimenté pour reconnaître l’imprévu lorsqu’il survient.


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I – Le lot providentiel


Ce jour-là, Gérard Dangers revenait d’une modeste vente de province, le visage animé par cette lueur qu’on reconnaît chez ceux qui ont aperçu ce que les autres n’ont pas su voir.
Le commissaire-priseur avait présenté un carton d'une trentaine de tire-bouchons ordinaires, ceps de vigne, extensibles, sommeliers publicitaires oxydés..., entassés en vrac. Le genre de lot que les collectionneurs évitent, convaincus d’y trouver davantage de métal fatigué que de véritables pièces.

Gérard, lui, avait perçu autre chose : plusieurs formes familières, entrevues sous le fatras rouillé.
Il en était presque certain — le lot disparate recelait trois tire-bouchons français de la fin du XIXᵉ siècle : un Étincelant, un Régulateur, un Express.
Des modèles peu courants, et surtout rarement vus ensemble.

La mise à prix était modique. La salle distraitement attentive.
Il leva la main, sans forcer.
Personne ne renchérit, ni dans la salle, ni sur le net.
Le lot ne lui avait coûté que le prix d'un dîner !

De retour chez lui, il entreprit son cérémonial habituel : dépoussiérage soigneux, examen méthodique, comparaison avec les catalogues anciens — car Gérard relie ses catalogues de vente, luxe bibliophilique dont il assume joyeusement la déraison.
Il aligna scrupuleusement les pièces qu'il déballait une à une.
Les trois tire-bouchons identifiés étaient bel et bien présents, en bon état de surcroît.

Puis, au fond du carton, il aperçut un tire-bouchon qu’il jugea d’abord banal : une Hélice Pérille conforme au brevet de 1876.





Il allait le poser parmi les autres lorsqu’un détail retint son geste.


II – Une Hélice ordinaire… extraordinaire


À la lumière de sa lampe, l’outil révéla un marquage inhabituel.
Le compas — symbole de la maison parisienne Au Compas d’Or — était frappé à l’envers. Non pas mal centré ou mal frappé : véritablement inversé, tête en bas.




Ainsi orientées, les deux branches évoquaient moins un instrument de géométrie que les aiguilles d’une pendule égrenant le temps.

Gérard connaissait pourtant l’ensemble des variantes décrites dans l’ouvrage Les tire-bouchons à hélice de Jean-Pierre Lamy et Marc Ouvrard…
Mais cette forme-là n’apparaissait dans aucune source.

Il murmura simplement :

— Étrange… très étrange.

En manipulant la pièce, il eut la nette impression que le métal vibrait légèrement, comme si la gravure répondait à un rythme qui n’appartenait qu’à elle.


III – Le compas du temps


Bien plus tard, Gérard me confia qu’au moment précis où il fit tourner l’hélice, il eut la sensation que le compas se refermait sur lui-même.

Et puis, les deux branches gravées du compas se mirent à pivoter, très vite, en sens inverse, à la manière d’aiguilles affolées cherchant à remonter le temps.
Un bref éclat lumineux.
Un son métallique, proche du cliquetis d’une horloge ancienne, non d’un tire-bouchon.

Puis tout disparut.

La lampe. Le salon. Le carton.


IV – Paris, 1876 – Boulevard de Clichy


Lorsqu’il reprit ses esprits, Gérard se trouvait debout devant un kiosque : les journaux lui donnèrent la date : 15 septembre 1876 ! Il avança jusqu'à pouvoir lire une plaque de rue : Boulevard de Clichy, artère alors dense d’ateliers, de marchands de quincaillerie et de petites manufactures. 
Le décor correspondait parfaitement aux descriptions contemporaines : omnibus, fiacres, odeur de crottin, pavés sonnant sous les sabots, foule d'ouvriers et employés se rendant à l’ouvrage.
Le n° 98 : à peine eut-il repéré la vitrine chargée de manches à gigot, casse-noix, tire-bouchons... de la boutique portant l’enseigne Au Compas d’Or — l’établissement même où Pérille devait travailler — qu’un fiacre s’arrêta  derrière lui.





Un homme en descendit, avançant vers lui d’un pas déterminé. La quarantaine, vêtu d’un pantalon gris rayé, d’une chemise blanche à col droit et large cravate ivoire, d’un gilet et d’une jaquette noire, il tenait à la main une sacoche de cuir fatiguée par l’usage.
Gérard le reconnut : il avait vu son portrait gravé dans L’Illustration.

C’était Jacques Pérille, coutelier-quincaillier, ambitieux inventeur, encore au début de son parcours, mais déjà remarqué pour son sens aigu de l’innovation.
La qualité de ses fabrications était reconnue, comme sa détermination à conquérir de nouveaux marchés, surtout depuis l’année sabbatique qu’il avait passée, en France et à l’étranger, à courir les grandes foires de Francfort, Leipzig, Amsterdam, Londres, voyageant même jusqu’aux Etats-Unis pour observer les innovations de la concurrence. 
Pérille avait décrit dans L'Illustration la frénésie américaine autour des outils mécaniques : un véritable bouillonnement d’inventions, de brevets exubérants, parfois géniaux, parfois absurdes.
L’article de presse, qui annonçait sa sélection pour représenter la quincaillerie française à l’Exposition Universelle de Paris en 1878, se terminait par ces quelques mots de Pérille.
« Ils sont ingénieux, les Américains… mais nous ferons mieux. »

C’était bien lui, le futur auteur du brevet de 1876, celui du fameux tire-bouchon à hélice.

Pérille entra dans sa boutique, puis se tourna vers Gérard :

— Entrez, Monsieur. Peut-être puis-je vous renseigner ?


V – La rencontre 


Gérard franchit le seuil.
Il tenta :

— Monsieur Pérille ?

— Lui-même. Que puis-je faire pour vous ?

Gérard hésita. Comment expliquer sa présence en 1876 ?

— Disons que… je m’intéresse à vos travaux. Peut-être un peu en avance.

— Vous êtes coutelier ?

— Non. Je m'appelle Gérard Dangers et je suis collectionneur.

Le mot n’avait pas alors le sens spécialisé qu’il possède aujourd’hui. Gérard préféra sortir l’Hélice au compas inversé.

Pérille s’en saisit immédiatement.

— Voilà qui est étrange… Ce marquage… Je ne l’ai jamais frappé. Pas encore, du moins.

L’homme examinait la pièce avec un sérieux absolu, comme s’il avait sous les yeux une version future de son propre travail.

— On croirait une horloge, observa-t-il.

— J’ai pensé la même chose.

— Peut-être un signe, dit-il en souriant. Durant mon voyage aux États-Unis, j’ai vu tant d’inventions qu’on en perdait la notion du temps. Il n’est pas impossible que celui-ci vous ramène un jour ce que vous avez fabriqué… ou ce que vous fabriquerez.

Ce sourire prudent, presque amusé, révélait plus de lucidité qu’il n’y paraissait.


VI – L’hélice, l’idée, le destin


Ils discutèrent ensuite des projets de Pérille, de ses observations faites dans les ateliers new-yorkais, de la profusion d’appareils à leviers et à bras multiples qui cherchaient alors à s’imposer.

— Les Américains multiplient les ressorts, les pièces, les mouvements, expliqua-t-il.
Moi, je veux l’inverse : un geste simple, continu. Une hélice, et rien de plus.

Il confirma qu’il présenterait prochainement son invention à l’Exposition universelle de 1878, convaincu que la simplicité mécanique pouvait rivaliser avec l’abondance spectaculaire des brevets américains.

C'est alors que Gérard sentit l’objet vibrer de nouveau dans sa main, le compas inversé semblait se remettre en marche.

— Je dois partir, dit-il.

— Déjà ? fit Pérille.

Avant qu’il ne s’évanouisse, Pérille sortit de sa sacoche un schéma soigné, côté et signé : le dessin préparatoire de l’Hélice, tel qu’il l’avait conçu au retour de son voyage, sur le France — paquebot doté d’hélices l'année précédente !

— Prenez-le. Les idées voyagent, elles aussi.


VII – Retour au présent


Le brouillard l'envahit, brouillard qui se referma, puis se dissipa et Gérard se retrouva dans son salon, le carton d’enchères devant lui, les tire-bouchons alignés, la lampe allumée, et dans les mains, l'Hélice au compas inversé… et le schéma de Pérille.

Il demeura un moment immobile, observant la gravure retournée sur la poignée du tire-bouchon.

— Mesure de l’espace… mesure du temps, murmura-t-il.


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Gérard Dangers rangea soigneusement le schéma dans son dossier « Jacques Pérille » et plaça l’Hélice tout en haut de sa vitrine, prête peut-être, pour un nouveau voyage ?



M & IA


lundi 10 novembre 2025

TIRE-BOUCHONS : REPRISE DES VENTES DE L'ICCA

 

Amis blogueurs, bonsoir !


Je vous propose ce soir un regard sur les 

ventes aux enchères ICCA en cours.

Bon nombre d'entre vous connaissent déjà cette bonne nouvelle : ces ventes aux enchères viennent de reprendre.
Deux ventes sont en cours qui se termineront le week-end prochain !
Corkscrew Sale 39a - Ending Saturday November 15, 2025 at 1:00 PM EST
Corkscrew Sale 39b - Ending Sunday November 16, 2025 at 1:00 PM EST.

C'est donc le moment pour chacun d'entre nous de passer en revue les nombreuses pièces proposées à la vente. 


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Beaucoup m'attirent, en voici quelques exemples :



Mais nous n'en sommes qu'au début, les enchères ne peuvent que se multiplier dans les prochains jours !


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Je n'ai guère vu de prix de départ exagérément élevés, mais des techniques de vente différentes.
Certains vendeurs proposent des prix proches de la valeur supposée des tire-bouchons proposés, d'autres proposent au contraire des prix de départ assez bas, espérant attirer les enchérisseurs.
Voici des exemples de ces stratégies différentes pour des modèles assez similaires :



Deux exemplaires du tire-bouchon "Le Désiré"




Trois autres du Royal Club


Mais bien sûr, c'est à la fin du match qu'on sait qui a gagné : le week-end prochain donc !



M



mercredi 5 novembre 2025

LES TIRE-BOUCHONS DANS LE CATALOGUE ANCIEN "BRUYAS, RANDU ET LEURS FILS"


Amis lecteurs, bonsoir !


J'écrivais en conclusion de mon livre Tire-bouchons Français – Fabricants, Catalogues et Documents Commerciaux : 
"L'ouvrage est volontairement centré sur les fabricants français et exclut donc de fait les grossistes-revendeurs. Ceux-ci, historiquement, ont pourtant été beaucoup plus enclins à diffuser des catalogues illustrés à leurs clients-détaillants souvent éloignés."

Je ne suis pas prêt à rédiger un ouvrage sur les catalogues anciens de grossistes-revendeurs, mais j'aime m'y plonger, les analyser et partager avec vous ce plaisir de l'enquête.
Et puis, avouons-le, c'est aussi l'occasion d'échanger avec Bernard Devynck, grand documentaliste, pour enrichir mes articles !


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Le catalogue que je vous présente aujourd'hui est le :

Tarif-Album N° 8 de Guillaume BRUYAS, Alexandre RANDU et leurs Fils




Gui. Bruyas, A. Randu et leurs Fils
Tarif-Album N° 8


Recensons d'abord les informations que nous avons pu trouver sur cette très ancienne Maison lyonnaise.


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L'histoire de l'entreprise


La Maison Bruyas est attestée à Lyon dès 1853. C’est au départ un magasin de fers ouvrés, puis une fabrique de pointes et clouterie, laquelle étend son activité au négoce de ferronnerie, quincaillerie et cuivrerie.


Dans les dernières décennies du XIXe siècle, le dirigeant est Auguste Bruyas. 



Facture 1890 (document Bernard Devynck)


Cette facture, datée de 1890, est longue de 10 pages ! Elle récapitule les nombreux articles commandés par un quincailler, client-détaillant, parmi lesquels déjà une douzaine de "tirebouchons nick fermants", traduisons tire-bouchons nickelés fermants :



Des "tirebouchons nick fermants"...


Vers 1900, Guillaume Charles Auguste Bruyas, qui incarne la troisième génération de propriétaires, prend le relais et dirige l’entreprise, seul d’abord, puis en société par actions avec ses fils sous la raison sociale Auguste Bruyas & Fils & Cie



En-tête facture 1906 (document Bernard Devynck)


Il déménage en 1919 son imposante usine de quincaillerie et ferronnerie dite Bruyas et Fils, longue d'une soixantaine de mètres et large de quarante, pour l'installer en plein cœur de la ville de Lyon, au 8 de la place Vendôme, nouvelle place aménagée en 1859.



Source : https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/
dossier/usine-de-quincaillerie-bruyas-a-fils-et-cie-puis-bruyas-g-et-randu-et-fils


Note : La place Vendôme de Lyon a pris aujourd'hui le nom de place Victor Basch, en hommage au président de la Ligue des Droits de l’Homme assassiné par la milice française en 1944. Le site Bruyas & Randu, de la place Vendôme / Basch, a été démoli dans les années 1990 pour faire place à un immeuble d'habitation.


En 1924, Guillaume Charles Auguste Bruyas s’associe avec un autre quincailler ferronnier, Alexandre Louis Randu. La raison sociale de l'entreprise devient alors : Gui. (pour Guillaume)  Bruyas et A. (pour Alexandre) Randu, successeurs, ancienne maison Auguste Bruyas & Fils & Cie.  



En-tête facture 1926 (document Bernard Devynck)


Les fils de ces associés, Florian Charles Auguste Guillaume et Guy Stéphane Camille Bruyas d’une part, et Casimir Denis Marie Randu de l’autre, les rejoindront vers 1937 au sein d’une nouvelle société : Gui. Bruyas, A. Randu et leurs Fils, éditrice de notre tarif-album N° 8.



Le Logo de l'entreprise en 1937


A partir de 1947, l’entreprise se spécialise dans les roulements à billes sous le nom de "Bruyas, Randu, quincailliers, Société le Roulement R.I.V.", puis en 1948, la raison sociale devient "Randu (A. et C.) quincaillier, le Roulement S.A.".


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Présentation du Tarif-Album N° 8 : Articles de ménage


Le catalogue, dit Tarif-Album N° 8, correspond aux articles de ménage. 
En fait, tous les produits commercialisés par Bruyas & Randu font l’objet de Tarifs-Albums spécifiques, tels :
- le N° 6 pour l’outillage, 
- le N° 7 pour la ferblanterie,
- ou le N° 9 pour la brosserie et les poids et mesures.
L'inscription au Registre de Commerce, figurant au bas de la page de couverture, est datée de 1926 , mais le catalogue est sensiblement plus tardif, puisque on peut y trouver :
- le tire-bouchon Polichinelle, commercialisé par la MFAP de Thomas et Juvenet à partir de 1927, et le Débouchtout breveté par Jules Bart en 1929,
- le Moulin-légume, inventé par Jean Mantelet (futur fondateur de Moulinex) en 1932.
Et surtout, la raison sociale, Gui. Bruyas, A. Randu et leurs Fils, associant les fils aux pères, nous emmène vers 1937.

1937 est donc l'année que nous retenons pour dater notre catalogue.

En noir et blanc sur papier couleur paille et couverture vert olive, il est épais d'une centaine de pages. Toutes les illustrations sont des gravures.
Il a été réalisé par l'imprimerie Comandet Frères à Lyon.

Notons encore que si ce catalogue est intitulé "Tarif-Album" et que des emplacements sont prévus pour y indiquer les prix, à l'unité ou en gros, aucun n'apparaît. C'est un signe que le document a été conçu pour durer plusieurs années dans un contexte d'inflation : les prix sont négociés au coup par coup entre grossistes-revendeurs et clients-détaillants.


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Articles proposés


Les articles de ménage présentés nous permettent d’approcher le quotidien largement autarcique d'une population encore rurale et dont les habitations dans leur grande majorité sont encore dépourvues du confort moderne : eau courante, chauffage central, électricité... 
Les français des années 30 cultivent leur jardin, cuisinent à l'âtre, achètent des boîtes de conserve ou font les leurs artisanalement, comme leur vin ou leur cidre qu'ils mettent eux-mêmes en bouteilles.



Un (seul) fer électrique, le Boléro, 
un mâche-bouchon crocodile perdu au milieu de lunettes de protection, 
un moulin à café, une muselière...



Les articles proposés sont, dans le contexte de l'époque : 
- des articles destinés à faciliter les tâches ménagères : planches à laver, fers à repasser en tous genres (mais dont un seul est électrique), serviteurs de cheminée, pelles à braise, soufflets, tournebroches...
- des dispositifs de protection des biens contre les "nuisibles" : nasses, souricières, tapettes et autres pièges à mouches, à rats ou à taupes,  muselières, colliers de chien...
- des articles de cuisine, parfois de marques restées bien connues (Spontex, Peugeot...) : hachoirs, presses viande, presse-purée, Moulin-légume, des batteurs à œufs (Boléro), machines à râper, cages à fromages, moulins en tous genres, pilons, coquelles, faitouts, rouleaux à pâtisserie, couverts, coutellerie, bocaux "L'Idéale" (produits par la Verrerie des Islettes, en Argonne, fermée en 1936)... ou des ouvre-boîtes, tels le Singe, le Météor, l’Idéal Rich et le Ptit Rich, le Socafer, l’Avia...
- d'autres liés à la fabrication et à la conservation des boissons : des robinets pour tonneaux, des mâche-bouchons, un bouche-bouteille Camion Frères, des agrafes pour bouteilles de vin, des siphons à champagne, un arrache-bouchon et, bien sûr, des tire-bouchons.


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Les tire-bouchons vendus par Gui. Bruyas, A. Randu et leurs Fils


Le catalogue est explicite : l'entreprise privilégie les modèles de base, certainement ceux qui constituent ses plus gros succès commerciaux du moment. 
Elle se fournit chez les principaux fabricants français des années 30 : 
- Pérille (hélice J.P, dernière époque, celle des Anciens Etablissements Jacques Pérille, avant la faillite de 1937), 
- Boileau & Baradat (hélice AP, des repreneurs d'Adolphe Pecquet, ici représentée),
- Ateliers Jules Bart (Zig-Zag et Débouchtout), 
- MFAP (Polichinelle) 
ou, pour des modèles plus basiques encore : 
- Tony Dussieux (repreneur de Jean Toulon), 
- Laurent Siret...



Extraits des pages 90 à 93, consacrées aux tire-bouchons



Pas de modèle rare ou précieux donc : ce n'est pas ce type d'objets que doivent rechercher les détaillants clients de Bruyas & Randu, mais de l'utilitaire, comme l'arrache-bouchon ci-dessus.
On notera toutefois la hiérarchie établie entre les fabrications AP de Boileau & Baradat, taxées de qualité ordinaire, et celles estampillées J.P de Pérille, dites de qualité supérieure.


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Alors, quelle conclusion ?
Je ne peux que redire que ces catalogues dont l'unique prétention était de présenter les modèles proposés à la vente par une entreprise, nous renseignent objectivement sur la clientèle visée et l'état des techniques et de la société au moment de leur parution. 
En cela, le tarif-album Gui. Bruyas, A. Randu et leurs Fils et plus généralement les catalogues anciens sont particulièrement intéressants !



M

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