vendredi 11 juillet 2025

DE COYE-LA-FORET A CHAUMONTEL : HUET, LIGIER, CANUET ET... DES TIRE-BOUCHONS ENIGMATIQUES

 
Amis blogueurs, bonjour !


Nous nous étions arrêtés dans mon dernier article à l'association Huet & Ligier et à l'arrêt de leur usine de Coye-la-Forêt en 1914.

Voici la suite de l'histoire qui conduit de
COYE-LA-FORET à CHAUMONTEL, et de
HUET & LIGIER à CANUET
et ses tire-bouchons énigmatiques


Dès avant 1900, des relations se développent entre Louis Léon Huet et Emile Paul Félix Ligier d’une part, et un concurrent voisin et de même génération, Albert Victor Benjamin Canuet (1860-1916) d’autre part. Tous trois sont fabricants de "bijoux en acier" et sont primés dans des expositions, comme à Anvers en 1894 ou Paris en 1900.

Canuet (1860-1916) est le gendre et héritier de l’industriel Charles Eugène Espiridion Goupil (1831-1895), lui-même successeur de la Maison N. Marguerie, fabricant de perles métalliques (roulements à billes notamment). La fabrique Goupil - Canuet est installée dans la ville de Chaumontel (Seine-et-Oise, aujourd’hui Val d’Oise), proche de Coye-la-Forêt (Oise), avec magasin de vente et siège social au 68 rue de Bondy à Paris.



La fabrique Goupil – Canuet à Chaumontel – 1906
(Collection personnelle)


Les deux usines sont situées dans deux départements différents donc, mais cinq kilomètres seulement les séparent. 



A 5 km les uns des autres... 


L’épouse d’Albert Victor Benjamin Canuet, Marie « Jeanne » Goupil, lui donne trois fils : Victor Albert « Maurice » Canuet (1886-1956), puis des jumeaux « André » Eugène Canuet (1888-1897), décédé enfant, et « Marcel » Fernand Canuet (1888-1978). 
Dès 1914, les deux enfants survivants sont associés par leur père à la direction de l’entreprise, dont la raison sociale devient A. Canuet & Fils.

Après le décès d’Albert Victor Benjamin Canuet en 1916, les relations qui se sont développées entre Louis Huet et Emile Ligier et le fils ainé, Maurice Canuet, aboutiront à une association dirigée par ce dernier, puis à la création d’une société en nom collectif Louis Huet, Emile Ligier et Maurice Canuet.
 
Après la fin de la première guerre mondiale, la société en nom collectif dirigée par Maurice Canuet transfère les outils de production de Coye vers l’usine de Chaumontel. L’usine de Coye-la-Forêt est détruite et les terrains vendus aux Lescuyer de Savignies, propriétaires du Château.


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Brevet pour un tire-bouchon


30 avril 1922 : Victor Albert « Maurice » Canuet, obtient, sous le nom de Victor Le Canuet, le brevet n° 540.601 pour un « tire-bouchon formant en même temps débouchoir de bouchages métalliques ».


 

Dessin du Brevet 
n° 540.601 du 30 avril 1922
Variante avec décapsuleur et un coupe-muselet
(Collection personnelle)

Variante avec décapsuleur et deux coupe-muselet


 
Pourquoi cet usage de prénoms différents et du nom de « Le » Canuet ? nous l’ignorons ! Mais les tire-bouchons Le Canuet sont aujourd’hui recherchés.
 
Nous devinons seulement qu'à l'instar de son beau-père Charles Eugène Espiridion Goupil, Victor Albert « Maurice » Canuet est une personnalité hors du commun à Chaumontel, ville dont il sera élu maire en 1925.


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Canuet Frères
 

Le 31 décembre 1922 : la société en nom collectif Louis Huet, Emile Ligier et Maurice Canuet est dissoute par le même Victor Albert « Maurice » Canuet.
Le fonds est cédé à la Société en nom collectif Canuet Frères, composée des seuls deux frères, Victor Albert « Maurice » Canuet (1886-1956) et « Marcel » Fernand Canuet (1888-1978). Le siège parisien est transféré du 68 rue de Bondy Paris 10° au 118 rue de Turenne Paris 3°.



31 décembre 1922 : dissolution de la société en nom collectif 
Louis Huet, Emile Ligier et Maurice Canuet
((Journal L’Usine – Gallica)


Cette société est ensuite transformée en SARL Canuet Frères en 1927.
En 1928, la SARL Canuet Frères publie des encarts publicitaires dans l'annuaire du commerce Didot – Bottin. Elle communique aussi sur sa marque de fabrique, reprise de celle déposée par Huet & Ligier en1895 : des anneaux de clés.



Annuaire du commerce Didot-Bottin 01011928

Marque de fabrique
Annuaire du commerce Didot-Bottin 01011928
 

On peut voir sur cette publicité de 1928 que les tire-bouchons ne sont plus listés dans les fabrications.

Pour les années qui suivent, les renseignements nous manquent.
Nous savons seulement que la SARL Canuet Frères est encore active au début de l'occupation allemande, comme le montre un courrier adressé le 16 août 1940 en réponse à une enquête du Préfet de Seine-et-Oise à Versailles :



https://archives.valdoise.fr/


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Au-delà de la seconde guerre mondiale, nous n'avons pas retrouvé d'éléments sur la fin de cette entreprise chaumontelloise, si ce n'est que l'usine désaffectée avait fait l'objet d'un projet immobilier.

Peut-être pourrez-vous nous apporter de nouveaux éléments ? Je ne manquerai pas de les publier !



M




lundi 7 juillet 2025

HUET & LIGIER, FABRICANTS DE TIRE-BOUCHONS OU DE TIRE-BOUTONS ?


Amis blogueurs, bonjour !


Je vous propose aujourd'hui d'évoquer l'histoire de Huet & Ligier, lesquels ont - peut-être ? - fabriqué des tire-bouchons.


L’histoire débute au XVIIIe siècle à Coye-la-Forêt (département de l'Oise), à une quarantaine de kilomètres au nord de Paris et à la limite de sa zone urbaine.




La seigneurie de Coye a été acquise par Henri-Jules de Bourbon, seigneur de Chantilly, en 1701.

Selon Wikipedia, ce seigneur, "pour occuper la population coyenne, particulièrement pauvre, et éviter qu'elle ne passe son temps à braconner dans ses forêts, [fit] installer des entreprises industrielles dans le château.
Le XIXe siècle sera le siècle d'or des industries coyennes : après la filature de coton, une usine d'impression sur étoffe emploie jusqu'à 300 ouvriers. La création des margotins (petits fagots de bois) occupe à partir de 1850 une centaine d'ouvriers, de même que la fabrication des liens et cordes en tilles. Une usine de fabrication d'objets en acier poli cesse son activité en 1914, mettant fin à l'activité industrielle de Coye."

En effet, une usine importante est attestée à Coye-la-Forêt, dès 1769, dans les dépendances du château. Elle bénéficie de l’énergie hydraulique fournie par la rivière la Thève et, dès 1815, d’une machine à vapeur. 
C’est successivement une manufacture d’impression sur tissus ("indienne"), une fabrique de cartes à jouer, une papeterie, une filature de coton, une retorderie…


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La fabrique d’acier poli Huet


Cette manufacture décline ensuite jusqu’en 1873, année où Auguste Marguerie, dernier propriétaire du château, la vend à Jules Barnabé Huet, qui la transforme en fabrique d’acier poli :



Dépliant touristique La Sylve Coye-la-Forêt
(Municipalité de Coye-la-Forêt)



A cette époque, Jules Barnabé Huet et son frère Charles sont déjà établis à Paris et possèdent chacun une fabrique d’acier poli où ils produisent notamment des tire-bouchons.
C'est le fils de Jules, Louis Léon Huet, qui tient le dépôt parisien au 118 rue de Turenne.

Les Huet revendiqueront une fondation de leur fabrique en 1823, mais peut-être s'agissait-il de l'année de création de la fabrique parisienne ?

En 1883, Louis Léon Huet succède à son père.


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L'époque Huet & Ligier


En 1889, Louis Léon Huet s’associe à Emile Paul Félix Ligier (1855-1930).

Que sait-on de celui-ci ?
En 1881, Emile Paul Félix Ligier est employé et demeure rue Saint-Claude 5, Paris 10° quand il épouse Marie Anna Hannequin. 
En 1893, il est devenu fabricant de bijouterie acier, administrateur de la chambre syndicale de la "bijouterie imitation", et est fait cette même année Officier des Palmes Académiques, puis Chevalier de la Légion d’honneur en 1897.

1894, Huet et Ligier, employeurs de 200 ouvriers, fabricants de "bijoux en acier", sont primés à l'Exposition internationale d'Anvers :



 Exposition internationale d'Anvers, 1894


Le 3 octobre 1895 : Huet et Ligier déposent leur marque, aux initiales du fondateur Jules Huet, insérées dans deux anneaux de sûreté entremêlés.



La marque déposée "JH"
 in La Propriété Industrielle du 6 février 1896.



Gérard Bidault, in Les tire-bouchons français – Modèles et Fabricants note que la publicité de Huet et Ligier fait état de "tire-bouchons de modèles spéciaux".
Nous n'avons pas pu retrouver ces "modèles spéciaux".

De fait, Huet et Ligier déposent en 1910 un modèle (pas un brevet) de "Tire-bouchon en métal, de section aplatie" … mais le dessin joint n'est pas celui d'un tire-bouchon : c'est celui d’un tire-bouton, semblable à ceux qui traînent encore dans un de mes tiroirs !



Tire-bouton ou tire-bouchon ?


Additif du 12 juillet 2025 :

Loïc Bahuet me rappelle opportunément avoir écrit un article dans l'Extracteur n° 84 sur les tire-bouchons et tire-boutons Huet et Ligier. Il avait en effet trouvé dans un vide-grenier le modèle de type harpe suivant, marqué MANDOLINE sur une face et DEPOSE sur l'autre :





Honte à moi, je ne m'en souvenais plus, mais nous avions donc bien connaissance de tire-bouchons produits par Huet et Ligier à partir de ce brevet !
Merci à Loïc pour ce complément très important et pour m'avoir permis d'utiliser ses photos.


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Huet et Ligier obtiendront également deux brevets, pour ce qui semble être leur vraie spécialité, les anneaux de clés :
- en 1913, n° 455207 pour un : Procédé de fabrication des anneaux porte-clés.
- en 1921, n° 523887 pour un : Anneau de sureté.

L’association Huet et Ligier durera jusqu’en 1922.

Le déclenchement de la première guerre mondiale interrompra cependant définitivement l’activité de la fabrique de Coye-la-Forêt.
Cette fabrique sera revendue en 1922 au propriétaire du château, sous réserve d'être rasée, ce qui conviendra aux deux parties : un concurrent ne pourra pas s'installer, le parc du château retrouvera son intégrité !


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Nous verrons dans notre prochain article comment l'aventure industrielle initiée à Coye-la-Forêt, spécialement la fabrication de tire-bouchons, s'est poursuivie quelques kilomètres plus loin, à Chaumontel (ancien département de Seine-et-Oise, aujourd’hui Val d’Oise).



M

lundi 30 juin 2025

UN NOUVEAU SCOOP SUR PERILLE ET TREBUTIEN

 
Amis blogueurs, bonjour !


Voici un nouveau scoop sur le conflit ayant opposé Jacques Augustin Pérille et Louis Eugène Trébutien !


C'est à notre amie Pascale, mylokaphéphile et chercheuse infatigable, que nous le devons.
Pascale a retrouvé pour nous l'acte de mariage de Jacques Pérille et l'a examiné de près. 

Le voici, je vous laisse en prendre connaissance :





Avez-vous trouvé ?
Oui, évidemment : le 4 décembre 1862, le premier témoin de mariage de Jacques Augustin Pérille était un certain Louis Eugène Trébutien, âgé de trente ans, négociant, demeurant à Paris, rue Saint-Martin, n° 199 !
Un vrai scoop, non ?

On découvre au passage les signatures des deux futurs protagonistes :



Jacques Augustin Pérille



Louis Eugène Trébutien


En 1862, Pérille et Trébutien étaient donc collègues et amis proches. 


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Rappelons que :

- Jacques Augustin Pérille (1834 - 1903), fils d'un horloger de Joigny dans l'Yonne, et formé au métier de coutelier, est monté très jeune s'installer à Paris
Il y épouse le 4 décembre 1862 Marie Emelie Regniaud (1843 - 1880), fille de quincailler. 
Dans l'acte de mariage, Jacques Pérille déclare être lui-même quincailler : il est donc installé en 1862.
Dès ses débuts, Pérille vend des tire-bouchons dont il sous-traite la fabrication aux artisans de Breuvannes (Haute-Marne). Burel et Delarbre font partie de ces artisans sous-traitants.
On sait aussi qu'en 1864, il possède sa quincaillerie – coutellerie à l'enseigne "Au Compas d’Or" au 44 avenue de Clichy à Paris 17°.

Corrigeons ici deux erreurs de retranscription d'état-civil, la première ayant été relevée par notre ami Lionel : Trébutien n'est pas né en 1838, mais en 1832, tandis que son épouse Adèle Gratien est née en 1836 :
- Louis Eugène Trébutien (1832 - 1915) est ainsi l'aîné de Pérille de deux ans. 
Il a épousé en 1858 Adèle Gratien (1836 - 1917).
A la naissance de leur premier enfant, Henri en 1859, Trébutien déclare être employé.
En 1861, à la naissance de leur deuxième enfant, Adèle Mélanie, Trébutien et son épouse sont dits tous deux quincaillers.

Trébutien et Pérille étaient donc collègues et amis au point que l'un est le premier témoin de l'autre lors de son mariage en 1862.


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Mais l'amitié des deux hommes ne résistera pas à la durée : 
Pérille, très actif, s’inspire de ce que fait la concurrence française et étrangère, pour créer de nouveaux modèles. C'est ainsi qu'en 1876, il présente - sans précaution - son « tire-bouchon à hélice », modèle retenu pour l’Exposition Universelle de 1878 à Paris. 
Trébutien le copie aussitôt sans vergogne. 
Les tentatives faites ultérieurement par Pérille, pour essayer de protéger ce qu’il considérait comme son invention, n'y changeront rien : le tire-bouchon à hélice est  tombé dans le domaine public.

On imagine à quel point Pérille dût être ulcéré d'être ainsi trahi par celui qu'il considérait comme son ami et on comprend mieux sa pugnacité dans le procès intenté à Trébutien, procès qu'il perdra finalement en Cassation le 26 janvier 1884.
Le juge ne fut pas insensible à cette trahison, disant le droit au profit de Trébutien, mais qualifiant cependant son comportement :
"L’attitude, même regrettable de Trébutien, ne tombe pas sous l’application des dispositions visées dans la citation."

Et derrière Trébutien, de nombreux autres fabricants vont s'engouffrer dans la brèche : 
Cf. notre livre Les tire-bouchons à hélice par Jean-Pierre Lamy et Marc Ouvrard, présenté ici :


On sait cependant que Trébutien n'a pas eu le temps de bénéficier vraiment du jugement : il avait cédé son entreprise à Adolphe Pecquet, un an plus tôt, le 15 février 1883, sans qu'on en connaisse les raisons (Trébutien vivra encore pendant 32 années après cette vente).
Et c'est donc Adolphe Pecquet qui fabriquera le tire-bouchon repris de Pérille.




Source : Les tire-bouchons à hélice 
par Jean-Pierre Lamy et Marc Ouvrard

 
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La trahison par celui qu'on croyait son ami est une blessure dont on ne se remet pas !



M

lundi 23 juin 2025

DU TONNEAU À LA BOUTEILLE... IL Y A VRAIMENT DE QUOI PERDRE CONTENANCE !



Amis blogueurs, bonsoir !


Foudre, muid, tonneau, barrique, fût, pièce...
Anglaise, normande, frontignane, champenoise, flûte rhénane, clavelin...
Gallon, pot, pinte, chopine, fillette...


DU TONNEAU À LA BOUTEILLE... IL Y A VRAIMENT DE QUOI PERDRE CONTENANCE !


L'histoire des unités de mesure utilisées pour les liquides, depuis le Moyen-Âge et jusqu'à la mise en place du système métrique, est très complexe.


Le monde européen du Moyen-Âge et des Temps Modernes, autrement dit celui d'Ancien Régime, antérieurement à la Révolution française, résultait de l'émiettement de l'Empire romain.
Certes, les frontières n'y étaient pas intangibles et le vocabulaire, issu du latin et de l'ancien français, était souvent encore partagé entre peuples voisins, avec cependant des sens qui ne cessaient de dériver, de s'écarter.
Les unités de mesure, innombrables, fluctuantes, relatives, locales ou régionales, n'étaient pas faciles à comprendre pour qui venait d'ailleurs : le commerce s'en trouvait compliqué, au point que le change était le domaine réservé de spécialistes, tels les banquiers lombards.


1700 : 800 unités de mesure,
1800 : le système métrique, "une loi, un poids et une mesure"


Rien qu'en France, selon National Geografic : 
"Les savants étaient confrontés à la réforme d'un patchwork de 800 unités de mesure différentes, de la toise à la lieue en passant par le quart et la pinte. Certaines mesures étaient extrêmement basiques : dans le Bordeaux du début du 18e siècle, une unité de terre était définie par la portée de la voix d'un homme. Il y avait peu ou pas de standardisation : à Paris, une pinte équivalait à 0,93 litre ; à Saint-Denis, elle équivalait 1,46 litre. Une aune, utilisée pour mesurer le tissu, était basée sur la largeur des métiers à tisser locaux. Ce système chaotique était sujet à la fraude et étouffait le commerce intérieur et extérieur."

Deux siècles plus tôt, Rabelais, dans Pantagruel (1532), donnait les noms d'une série de récipients qu'il est souvent impossible de distinguer aujourd'hui : "flacons, bouraches, bouteilles, fiolles, ferrières, barils, barreaulx, pots, pintes, semaises, antiques". 

Et Voltaire (1694 - 1778) pouvait encore écrire dans ses Dialogues
"Ce que vous me demandez [l’uniformité de la loi] est aussi impossible que de n’avoir qu’un poids et qu’une mesure ; comment voulez-vous que la loi soit pour tous la même, quand la pinte ne l’est pas ?"

La réaction vint du "siècle des Lumières". Les philosophes : Voltaire, mais aussi Montesquieu, Rousseau, Diderot..., les savants : Borda, Lagrange, Monge, Laplace, Condorcet... inspirèrent les élus révolutionnaires, jusqu'à ce que le gouvernement républicain promette au peuple de France "une loi, un poids et une mesure". Le système métrique décimal fut officiellement adopté en France le 10 décembre 1799, et bientôt utilisé dans plusieurs pays voisins. 



Tableau scolaire : les poids et mesures (Internet)


Napoléon crut satisfaire marchands et clients en faisant partiellement marche arrière en admettant en concurrence les "mesures usuelles" et il fallut attendre 1837 pour que le roi Louis Philippe révoque l'usage à la fois des mesures traditionnelles et des mesures usuelles et rétablisse le système métrique. 
Mais revenons à notre sujet...


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Le transport et la conservation du vin.


A la fin du Moyen-Âge et pendant les Temps Modernes (le "petit âge glaciaire"), les vignobles sont souvent sous domination anglaise. Le vin est produit par la France et les pays méditerranéens, mais ce sont les anglais qui le commercialisent, imposant leurs unités de mesure, au premier rang desquelles le barrel ( = la barrique bordelaise) et le gallon.



Tonneau, barrique et fût


Les historiens s'accordent à dire que dans l'Antiquité, l'utilisation des outres et celle des récipients en terre cuite : les amphores ou, beaucoup plus grandes, les dolia, ont précédé celle des tonneaux et autres barriques ou fûts, pour le transport et la conservation, particulièrement des liquides.

Le "tonneau" :
Le tonneau, terme aujourd'hui générique, s'est imposé pour des raisons pratiques : il est solide, peut être roulé, et la densité du bois dont il est fait (0,85 pour le chêne) est bien moindre que celle de la terre cuite de l'amphore (1,5 à 1,8).
Le tonneau a vraisemblablement été inventé par les Rhètes, peuplade celte des régions alpines, Rhètes allègrement confondus avec les Gaulois par les Romains. 
Son nom même trahit cette origine : 
Le mot tonneau vient du vieux français tonel, mot formé à partir de tonne, dérivé du latin médiéval tunna, lui-même emprunté à un mot celtique tonn signifiant peau, outre ou récipient.
Parmi les synonymes de tonneau, on trouve :
- le muid, du latin modius, qui signifie "mesure principale" et la pipe (1,5 muid).
- le foudre, d'origine germanique : Fuder, équivalent à quatre muids... ou beaucoup plus !



Le foudre Mercier à Epernay... 1 600 hectolitres ou 213 000 bouteilles
(Bourse CFTB 2024)


La "barrique" :
Le mot barrique correspond au vignoble bordelais. Il vient du dialecte gascon barrica, signifiant : objet fermé ou consolidé avec une ou plusieurs barres.
Selon Eric Glatre, in Histoire(s) de vin, 33 dates qui façonnèrent les vignobles français, Éditions du Félin (2020), cf. : 
"La barrique apparaît dans un texte du Parlement de Bordeaux en 1597 ; elle doit alors contenir 112 pots, soit 50 gallons anglais ou 228 de nos litres."
Le choix d'une telle mesure pour la barrique s'explique aussi par son encombrement et son poids (environ 45 kg) : un docker devait pouvoir rouler seul une barrique pleine ou porter seul une barrique vide.
Au XIXe siècle, la contenance de la barrique est ramenée à 225 litres, mais correspond toujours à 50 gallons !
La barrique est définie comme un quart de tonneau, lequel doit donc contenir un peu plus de 900 litres.

Le "fût" :
Le mot fût est issu du latin classique fustis, signifiant : bois coupé, pieu, bâton, trique.
Le fût est bourguignon et contient lui aussi (et toujours aujourd'hui) 228 litres… ou 50 gallons. 
On parle de "pièce" quand il est plein : une pièce de 228 litres ; un demi-fût est une "feuillette" de 114 litres, tandis que le "quartaut" vaut 57 litres.



Fût  bourguignon, barrique bordelaise
(Wikipédia)


Retenons qu'un tonneau vaut quatre barriques ou fûts de 50 gallons... le "gallon impérial" anglais correspondant, selon le dictionnaire de l'Académie française, à 4,546 09 de nos litres. 

Mais qui aurait pu servir un gallon de cidre, de bière, de vin ou de champagne à ses hôtes ? 


La bouteille


Le gallon se devait d'être subdivisé pour faciliter la vente aux particuliers. 



Mesures anglo-saxonnes : gallon, quart, pint, gill
(Image Internet)


Le choix fut fait d'une équivalence entre un gallon et six bouteilles, solution offrant la plus grande facilité de rangement tête-bêche dans les caisses de transport.
Ce choix dicta la contenance d'une bouteille standard : 0, 75768 litre.
Les anglais s'y retrouvaient, mais pas les consommateurs des autres pays. 

Avant de découvrir le litre, les français comptaient en pintes et les taverniers étaient dits "à pinte et à pot", façon d'exprimer l'obligation qui leur était faite de servir au pichet le vin tiré du tonneau :
- Le pot valait deux pintes. Il disparut avec le système métrique, avant de réapparaître à Lyon au XIXe siècle, mais avec une contenance de 46 centilitres seulement : la moitié d'une pinte de Paris !
- La pinte valait environ 0,93 litre à Paris (mais cette contenance pouvait varier du simple au double selon les provinces).

Les nécessités du commerce international du vin ne pouvaient que l'emporter. Les partisans du système métrique ont admis le sixième de gallon, tandis que les anglais acceptaient d'arrondir les mesures pour tenir compte du même système métrique.

La bouteille serait dorénavant la mesure quasi-universelle et équivaudrait 0,75 litre, le gallon contiendrait donc 4,5 litres, la barrique 225 litres et le tonneau 900 litres... pas tout à fait une tonne !

Mais la bouteille a aussi ses sous-multiples, héritées des mesures anciennes : la fillette (1/2 bouteille ou 37,5 cl), la chopine (1/3 de bouteille ou 25 cl), voire même, à l'italienne, la piccola (20cl). Et le litre est également utilisé pour conditionner le vin ordinaire et nombre d'autres liquides.

Enfin et surtout, les mesures ne disent rien de la forme des bouteilles :



Quelques-unes de mes bouteilles anciennes




C'est là un autre sujet...


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L'histoire pourrait se terminer là, mais l'usage est resté - ou est revenu ? - d'utiliser  d'anciennes mesures dans notre quotidien. 
Comme vous j'imagine, il m'arrive de commander une pinte de bière, mais si une pinte de bière équivaut en France à 50 cl de bière, elle correspond à 25 cl chez nos voisins belges, ou à 47,3 cl (Pint) aux Etats-Unis !
... à consommer bien sûr avec modération !


... Je vous le disais bien : il y a de quoi perdre contenance !




M



samedi 14 juin 2025

BIBLIOGRAPHIE 69 : HISTOIRE(S) DE VIN par ERIC GLATRE

 
Amis blogueurs, bonsoir !


C'est à la découverte d'un nouvel auteur et d'un de ses livres que je vous emmène aujourd'hui ; voici donc une nouvelle fiche bibliographique à classer avec les 68 déjà publiées :


BIBLIOGRAPHIE 69 : HISTOIRE(S) DE VIN par ERIC GLATRE
33 dates qui façonnèrent les vignobles français


Ce livre a été publié en 2020, et si je ne vous le présente qu'aujourd'hui, c'est que je l'ai découvert naguère en rédigeant l'article suivant :


Eric Glatre m'a notamment apporté des renseignements utiles sur le vannier-emballeur Nicaise Petitjean et son brevet de 1852 pour une "machine à ficeler à la ficelle"


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L'auteur est "tombé dans la marmite" quand il était petit : issu d'une dynastie de négociants en champagnes, passionné d'histoire, il a concilié les deux en devenant docteur en histoire antique et en organisant sa vie professionnelle autour du vin et de la gastronomie, animant des émissions, collaborant à des revues et écrivant de nombreux ouvrages.

Et quand bien même nous pouvons avoir parfois de légères divergences dans la datation d'évènements - telle l'invention de la bouteille dite moderne par Kenelm Digby - le savoir d'Eric Glatre est précieux !


Voici ma fiche bibliographique :





Un livre à ajouter à votre bibliothèque, donc... et à consulter souvent !



M

mercredi 11 juin 2025

PUCES D'ARLON, SUR LES TRACES D'ETTORE SOTTSASS

 
Amis blogueurs, bonjour !


Il est temps de vous retrouver après deux semaines de paresse !
Les quelques vide-greniers où je suis allé chiner ne m'ont pas vraiment donné matière à écriture, mais il y eut heureusement les Puces d'Arlon (Belgique).


J'en suis revenu avec deux tire-bouchons et quelques objets insolites et inspirants :




Passons très vite sur les petits compas d'horloger, particulièrement les maîtres à danser signés P. JORIS - BOGMAN BRUXELLES... je ne peux jamais m'empêcher d'en acheter !


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Arrêtons-nous plutôt sur ce curieux "pied de roy", dit aussi "pied de Charlemagne" :



Les Cordes   Les Métaux


Les parties égales + C des P


Longueur déployée 28,2 cm


Ce compas de proportions, manifestement antérieur à la révolution française, est étonnant à plusieurs titres : 
- replié, il se termine en pointe de flèche,
- ses deux bras sont percés d'orifices de 0,5 cm de diamètre environ,
- sa longueur déployée est de 28,2 cm environ.

Qui saura m'en dire plus sur ce modèle : pourquoi cette forme ? ces orifices ? cette longueur ? Et quelle pouvait en être l'utilisation ?


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Les deux tire-bouchons appellent également des réflexions :
- Celui de gauche est un tire-bouchon à ressort et à système permettant le retrait du bouchon après extraction. Il est allemand, probablement une fabrication de Karl Weisbach. 
- Celui de droite est un "quatre-doigts", simplement marqué "2" à la base de la poignée :




Je n'avais encore jamais vu cette forme de poignée, avec une partie médiane en forme de tonneau.
Et mes recherches pour l'identifier sont restées vaines : n'hésitez pas à me faire vos suggestions !


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Ettore Sottsass et les tire-bouchons


J'ai gardé pour la fin la salière et le moulin à poivre, objets "design", très colorés, que l'on doit à Ettore Sottsass.





Ettore Sottsass (Innsbruck, 1917 - Milan, 2007) est un architecte italien, designer et chef de file d'écoles artistiques telles que Antidesign, Alchimia, Memphis ou Sottsass Associati. Il est universellement connu pour la richesse de ses idées et son attachement à l'esthétique, en opposition au style moderniste, au langage jugé trop réducteur, trop pauvre.

Les hélixophiles lui doivent au moins trois très beaux tire-bouchons, bien cotés... mais qui n'ont pas encore croisé ma route !
Notre ami Jacky a été plus heureux et plus astucieux, les acquérant tous les trois il y a quelques années, dans une vente passée inaperçue. 






Les trois modèles Sottsass - Collection Jacky Corbel


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Merci à Jacky d'avoir bien voulu mettre à notre disposition les photos de ses magnifiques modèles.

Et merci à vous de m'apporter vos commentaires et propositions.



M

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