Amis blogueurs, bonjour !
Je comptais m'appuyer sur cet article rédigé en 2015 pour en introduire un autre.
Peut-être l'aviez-vous lu alors, mais c'était il y a déjà dix ans et je vous le propose donc de nouveau :
Heureux qui, comme Ulysse,
a fait un beau voyage...
Vous vous souvenez sûrement de ce beau sonnet de Joachim du Bellay :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.
Toujours ce poème m'inspire, et même il m'arrive parfois de croire qu'il a été écrit pour moi :
Voyageur je suis,
entre Touraine et Anjou est ma patrie,
en Lorraine je vis,
seuls me manquent encore l'usage et la raison
et de pouvoir rentrer à la maison !
Mais pour avoir un peu voyagé ces dernières semaines entre Italie et Bourgogne, c'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé samedi les Puces de notre bonne ville de Metz.
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Il flottait à Metz comme un air d'optimisme ; les marchands étaient nombreux et de bonne humeur, leurs stands souvent débordaient de trésors et les chineurs étaient aussi au rendez-vous.
Cadre en brocante ?
Prometteur, un stand m'accrochait : parmi d'autres plaques émaillées, celle des VINS DE LA CRAFFE (négociants à Nancy) m'y montrait un premier tire-bouchon, un cep SIRET j'imagine.
Le tire-bouchon des Vins de la Craffe
Un peu plus loin, des brocanteurs haut-marnais me dirent avoir gardé quelque chos" pour moi : hélas, c'était un "peg and worm", taille diamant, que j'avais déjà.
Une dame me proposa, comme pièce rare, une ménagère Pérille : j'avais la même à la maison...
Ce couple que j'aime bien me dit n'avoir rien cette fois... avant de me montrer un lot de couteaux trouvé en vidant une maison. J'en achetai trois : deux marqués Véritable Dumas & Cie et un marqué Le Sabot Fontenille ; et je reçus en cadeau un petit tire-bouchon simple mais à la belle poignée de bronze...
Je trouvai encore deux pipettes de vigneron qui me plaisent beaucoup et un bilame SANBRI, avec un marquage en diagonale que je ne connaissais pas :
Bilame SANBRI, BTÉ S.G.D.G. marquage en diagonale.
C'en était fini des couteaux, pipettes et tire-bouchons, mais le mieux restait à venir : une véritable "montre en or" !
Pipettes, couteaux, tire-bouchon et bouteille bouchée.
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Une ancienne bouteille de champagne, non étiquetée, mais encore aux deux tiers remplie, et surtout : bouchée à la ficelle et au fil de fer !
Bouteille de champagne bouchée à la ficelle et au fil de fer.
L'absence d'étiquette ne nous aide pas, mais rares étaient les bouteilles de champagne étiquetées avant la fin du XIX° siècle.
Jusqu'au XVIII° siècle au moins, bouteilles et carafes étaient apportées sur la table, munies de "plaques" accrochées par une chaînette.
Cf. l'article du blog :
WINE LABELS / ÉTIQUETTES DE VINS
Ces plaques sont aujourd'hui très recherchées des collectionneurs.
Vous pouvez en retrouver un exemple sur Ebay :
An early George II silver wine label, c.1750 'CHAMPAGNE'
Le vendeur m'a dit avoir trouvé cette bouteille - ainsi que quelques autres non bouchées - en vidant une maison près d’Épernay.
Je ne pourrai vous la décrire complètement, sauf à la déboucher, ce que bien sûr je ne ferai pas.
Retenons que c'est une belle bouteille champenoise, de fabrication bien maîtrisée, certainement manufacturée ; forme et aspect sont en effet très réguliers.
Le verre est de couleur vert foncé ; il comporte des stries peu apparentes.
Le corps est cylindrique et trapu.
Une "couture" verticale révèle l'utilisation d'un moule.
La piqûre est profonde et régulière. Elle comporte un mamelon ou boule, caractéristique de l'utilisation d'une molette (tige utilisée pour foncer la bouteille).
Les épaules sont hautes et peu marquées, dégageant un goulot court.
La hauteur est de 25,5 cm et le diamètre du corps est de 9,9 cm.
Le goulot cylindrique a un diamètre extérieur de 2,6 cm et de 3,4 cm au niveau de la cordeline (ou collerette), cordeline très saillante donc.
Masse et capacité resteront inconnues. En l'état, la masse est de 1510 g dont environ 500 g de vin de champagne.
Cette bouteille est aujourd'hui un témoignage précieux :
- Soufflée dans un moule, elle date probablement du milieu du XIX° siècle.
- Sa forme générale, ses "épaules tombées" confirment cette datation.
On retrouve des bouteilles similaires chez Benoît Tassin, producteur de champagne à Celles-sur-Ource et créateur d'un Musée de bouteilles.
Benoît Tassin nous avait expliqué naguère l'évolution de la forme de la bouteille de champagne.
Le lien ci-dessous vous permettra d'accéder directement à cet article de novembre 2013 :
BENOÎT TASSIN : CHAMPAGNE, MUSÉE DE BOUTEILLES ANCIENNES ET TIRE-BOUCHONS BOSSIN
- La bouteille est encore remplie aux deux tiers, mais surtout, elle est bouchée !
Un stockage aléatoire (debout ?) a entraîné une rétraction du bouchon, d'où des fuites et une diminution du contenu.
Mais le stockage a aussi permis à cette bouteille munie de son bouchon de traverser un siècle et demi !
- Le bouchage est d'origine !
Le bouchon a été taillé à la main puis assujetti à la collerette de la bouteille à l'aide de deux liens différents : de la ficelle tressée et du fil de fer doublé et torsadé.
Le bouchon est fixé sur la collerette.
"Deux liens assujettissent le bouchon,
l'un en ficelle trempée dans l'huile de lin, l'autre en fil de fer"
(Moët et Chandon XIX° siècle).
Cette technique alliant ficelage à la ficelle et ajout de fil de fer est antérieure ou contemporaine de l'invention de la capsule de muselet (brevet Jacquesson, 1844).
Elle correspond en tous points à celle décrite sur Wikipedia :
Pour améliorer l'opération de ficelage, Nicaise Petitjean demeurant à Avize près d’Épernay, fit breveter vers 1855 une machine à ficeler à la ficelle, appelée aussi cheval de bois. Cet appareil devait faciliter grandement le travail de l'ouvrier ficeleur et améliorer la fixation du bouchon, le bras de levier décuplant la force et permettant l'usage de liens renforcés.
Le ficelage est alors complété avec un ou deux fils de fer torsadés. La pose du fil de fer se fait à l'aide d'une pince cisaille. Cette fixation en fil métallique présentait des difficultés, et le consommateur devait faire usage d'une pince spéciale ou d'un petit crochet pour couper le fil de fer et pouvoir déboucher la bouteille. Ces articles étaient souvent offerts en cadeau par les négociants à leurs clients.
Pour éviter cet inconvénient et surtout le risque de se blesser au débouchage, on a fait un anneau préformé sur le fil de fer à ficeler. Ce petit anneau était quelquefois muni d'une pastille de plomb estampé au nom du négociant.
Document de la maison Moët & Chandon du XIXe: « Deux liens assujettissent le bouchon, l'un en ficelle trempée dans l'huile de lin, l'autre en fil de fer ; ce dernier a été préparé par des tordeurs spéciaux, puis passé au metteur en fil qui au moyen d'une pince fait la dernière torsion et rabat le toron sur le bouchon lui-même, de façon qu'il ne dépasse pas. »
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Précisons que je n'ai trouvé ni illustration, ni trace du brevet de Nicaise Petitjean pour une machine à ficeler à la ficelle ou "cheval de bois".
La base des brevets du XIX° siècle de l'INPI contient deux brevets de Nicaise Petitjean :
- l'un de 1832 pour un "nouveau genre de panier propre à l'emballage des vins de Champagne"
- l'autre de 1852 pour un "mode de fermeture de paniers à vin de Champagne".
Mais le brevet du cheval de bois est présenté comme plus tardif : "vers 1855". Peut-être n'est-il donc pas encore numérisé sur la base INPI ?
A défaut de pouvoir présenter le "cheval de bois", voici un document de 1866 montrant des ouvriers ficeleurs à la ficelle et au fil d'archal (alliage cuivre et zinc) :
"Lectures de famille" choisies dans la collection du magasin pittoresque
par Edouard Charton 1866 (Gallica).
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Au total, les Puces de Metz m'ont cette fois comblé.
Ma bouteille a bien 150 ans, comme le champagne qu'elle contient, mais la bonne fortune est de l'avoir trouvée munie de son bouchon ficelé !
M