lundi 23 janvier 2023

PECQUET, PERILLE, BOILEAU : UN CATALOGUE ET UN TIRE-BOUCHON SURPRISE

 

Amis lecteurs, bonsoir !


C'est peut-être mon côté people, mais je reste impressionné par la saga des fabricants de tire-bouchons et de leurs descendants et/ou successeurs. Ce sont là dynasties, unions, séparations et successions... un feuilleton "royal" en somme !

Je vous propose une nouvelle fois de partir en exploration, avec comme véhicule :

PECQUET, PERILLE, BOILEAU : 
UN CATALOGUE ET UN TIRE-BOUCHON SURPRISE.


J'ai retrouvé dans mes vieux papiers un catalogue acheté il y a plusieurs années lors d'un Congrès du CFTB (mais à qui ??) : il s'agit d'un catalogue Boileau non daté, accompagné de tarifs illustrés de 1963. Je me suis penché dessus avec curiosité, notamment pour nourrir le livre que nous coécrivons, Jean-Pierre Lamy et moi sur les tire-bouchons à hélice.

C'est cette enquête que je me propose de vous raconter ce soir.


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Voici la page de couverture du catalogue :



Catalogue Boileau non daté
(Collection personnelle).



ainsi que les entêtes des tarifs de janvier et juillet 1963 :



Entête janvier 1963


Entête juillet 1963



D'un format 21,8 x 27 cm, le catalogue compte 12 pages imprimées en noir et blanc et présente les tire-bouchons, casse-noix, couteaux à conserves, articles pour services à découper, fusils, articles de ménage, articles de caves, anneaux de clés, articles divers et éperons proposés par la "Fabrique de quincaillerie fine nickelée A. BOILEAU". On y retrouve de nombreux objets estampillés A.P., pour Adolphe Pecquet.

Ce catalogue motive une première recherche pour retracer la saga de la Fabrique d'Amédée Boileau : les travaux de Gérard Bidault, son livre Les tire-bouchons français, modèles et fabricants particulièrement, nous y aideront grandement. Une autre source féconde sera https://www.geneanet.org/
Mais le catalogue suscite aussi notre intérêt pour un autre challenge : essayer de le dater.
Il sera temps ensuite de voir quelle surprise nous attendait dans ce catalogue et dans les tarifs 1963 qui lui étaient joints.


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La saga, de Trébutien à Boileau...


C'est en effet une curieuse saga qui nous ramène sans cesse à Amédée Boileau :
- Trébutien, Pecquet, Boileau...
- Burel, Stiel, Hurel, Baradat, Boileau...
- Pérille, ses fils, Georges Creuse, Boileau...
- Jules Bart, ses fils, Dubois et Crespeau, Boileau !

- La saga commence dans les années 1870, à Vienne-en-Arthies, dans le Vexin.
En 1875, Louis Eugène Trébutien (1832-1915) y installe sa manufacture d'acier poli au Moulin d'en Haut ou moulin neuf. Trébutien vivra jusqu'en 1915, mais à 51 ans, en 1883, il cède l'entreprise à Adolphe Aimable Henri Pecquet (1858-1940). 
Aussi inexplicablement, Pecquet, père d'un fils célibataire et de trois filles, cesse son activité en 1911 - alors qu'il n'est âgé que de 53 ans et vivra encore 29 ans - et vend la manufacture à Amédée Boileau (1882-1969).

- A proximité, le Moulin des Millonnets dit Moulin de Pierre ou moulin Villers, également à Vienne-en-Arthies, a été transformé en usine d'objets en acier poli (tire-bouchons et casse-noisettes), usine dirigée par une succession rapide de propriétaires. Parmi eux, les Burel sont à l'époque les plus grands fabricants, mais leurs ateliers principaux sont dans la Haute Marne.



Le Moulin des Millonnets ou Moulin de Pierre 
à Vienne-en-Arthies


L’un des ouvriers de l’usine, Mathias Stiel (1843-?), polisseur sur métaux, originaire de Lemberg (Moselle), prend la relève en 1883. Marié sans enfants, il vend son affaire en 1890 à Jules Clément Hurel.
Jules Clément Hurel (1838-1893) est installé en 1878 à Paris comme fabricant d'acier poli et de tire-bouchons. Très tôt devenu veuf, il se remarie avec Marie Victorine Didier, elle-même veuve d'un marchand de vins, Emile Bernard, dont elle a une fille, Juliette Elise Fernande Bernard. 
Juliette Elise Fernande  épouse Jean Pierre Raoul Baradat (1862-1929), salarié dans l'entreprise, et son repreneur au décès de Jules Clément Hurel. Baradat conserve le Moulin des Millonnets et y fabrique des tire-bouchons jusqu'à sa mort en 1929.
Après lui, son fils (non identifié) vend l'entreprise à Amédée Boileau  fin 1930, ne gardant qu'un magasin à Paris.

- Bénéficiant d'une réelle antériorité, le concurrent de Boileau est bien sûr Jacques Pérille (1837-1903), puis ses successeurs, sous les raisons sociales Les fils de J. Pérille (1903-1925), Georges Pierre Creuse (1925-1931), enfin Anciens Etablissements Pérille (1932-1937), jusqu'à l'acquisition du fonds par Amédée Boileau en 1938.

- Plus contemporain, il y a Marie Jules Léon Bart, dit Jules Bart (1893-1945), l'inventeur du ZIG-ZAG, auquel succèdent en 1945 sa veuve et ses fils. Les établissements Bart sont rachetés en 1959 par Dubois et Crespeau, déjà propriétaires de la société TIMECA. Ultérieurement, et sur les conseils de Roger Bart, fils cadet de Jules Bart, Dubois et Crespeau finissent par racheter l'usine Boileau de Cosne-sur-Loire pour former la société BOILEAU, ZIG-ZAG ET TIMECA REUNIS : Boileau et Bart se retrouvent ainsi associés en 1965, quatre ans avant la mort d'Amédée Boileau
Cette entreprise, devenue la société L'IDEAL en 1976, poursuit aujourd'hui encore son activité, notamment la fabrication des ZIG-ZAG !

Les acquisitions successives ont concentré entre les mains d'Amédée Boileau une très large part des des productions françaises de tire-bouchons !


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La datation du catalogue


La couverture est sobre avec un texte minimaliste qui nous ouvre cependant des pistes.
Les premiers renseignements nous sont donnés par la raison sociale :
Ancienne Maison A. PECQUET
A. BOILEAU
Cette raison sociale revendique la succession Pecquet, mais n’indique pas encore la mention « Acquéreurs des Ets J. PERILLE » (année 1938) que l’on trouve sur les entêtes de tarifs joints, plus tardifs (1963). Un examen attentif montre d'ailleurs qu'aucun modèle Pérille n'est présent dans le document.
En première approche, nous pouvons en déduire que le catalogue a été édité entre 1911 et 1938.

Le numéro de téléphone indiqué est ARCHIVES 56-42.
Cela correspond à la numérotation mise en place en 1912, et effective jusqu’en 1928, début de l’automatisation des Centraux téléphoniques. L’automatisation du Central parisien  ARCHIVES est achevée courant 1931. Nous pouvons donc resserrer notre fourchette à l'intervalle 1912 - 1931.
Notons aussi que les tarifs 1963 joints à notre catalogue comportent le numéro de téléphone ARChives 56-42 : c'est que depuis 1946 (et théoriquement jusqu'en 1955), la numérotation, composée directement sur le cadran rotatif des téléphones, est formée des trois premières lettres du nom du Central - mises en majuscules - suivies de quatre chiffres, ici ARC 56-42.

L’adresse indiquée, 8 rue Elzévir à Paris, est celle où Boileau s'est installé en 1914 (référence Gérard Bidault). La fourchette se resserre un peu plus à 1914 - 1931.
Et la production de l'Usine à Cosne (Nièvre), également indiquée, débute en novembre 1921. Notre intervalle se réduit encore : 1922 - 1931

Nous avons pu comparer les objets proposés avec ceux présents dans un autre catalogue Boileau, appartenant à Lionel Belhacène, daté de 1928 et accompagné des tarifs 1929. 
Selon Gérard Bidault, ce nouveau catalogue Boileau sorti en 1928, inclut "une vingtaine de modèles à manche bois […], une grande variété de poignées en buffle, corne ou galalithe, sans oublier tous les modèles à tête métal, fonte, cuivre, laiton et les ergonomiques dont le célèbre DEBOUCHOIR A.P. (déposé). Côté systèmes […] des hélices à deux ou trois branches, deux modèles à crémaillère, deux systèmes à cloche ressort [...] et l'ETINCELANT."



1928, un catalogue plus riche, accompagné des tarifs 1929
(Collection Lionel Belhacène).



Notre catalogue est également dense, mais ne propose ni le tire-bouchon extensible ECLAIR A.P., ni le  couteau à conserves RECORD. Le couteau à conserve SIMPLEX est présenté comme un « modèle nouveau », alors qu'il est référencé dans le catalogue 1928. De même, le bouchon-compteur IDEAL apparaitra également dans le catalogue 1928.
Notre document est donc légèrement antérieur à celui-là.

Nous daterons notre catalogue de la période 1921 - 1927, vers 1925 probablement.


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Une vraie surprise !


Mais l'objet de cet article tient surtout à une curieuse trouvaille.
Nous l'avons dit, notre catalogue était accompagné de tarifs illustrés de 1963.
Nous nous sommes attachés à comparer les tire-bouchons à hélice présents dans les catalogues 1925 (vers), 1928 et les tarifs 1963 ; en voici les extraits intéressants, je vous laisse les observer attentivement.



Catalogue, vers 1925



Catalogue 1928



Tarifs janvier 1963



Tarifs juillet 1963.



La surprise concerne l'évolution du tire-bouchon à hélice trois branches. 
Notons l'évolution de la poignée des deux premiers numérotés 2517 et marqués A.P. dans un ovale, ainsi que l'ajout d'une étiquette de garantie marquée "GARANTI A.P." sur le modèle 1928. 
Beaucoup plus étonnant, les exemplaires représentés dans les tarifs illustrés de 1963, référencés 80 (J.P.), sont présentés comme l'étaient les versions A.P., mais sont marqués J.P. dans un ovale et également munis d'une étiquette "GARANTI J.P. PARIS" ! Et ce n'est pas une erreur ou alors ce serait une erreur redondante puisque présente dans deux documents différents.




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Possédez-vous un exemplaire du tire-bouchon à hélice trois branches marqué J.P. dans un ovale ? 
Si tel est le cas, Jean-Pierre Lamy et moi serions très heureux si vous pouviez-nous en faire parvenir une photographie.



M


P.S. : J'intègre ici le commentaire apporté par Lionel Belhacène à la lecture de cet article :
"Pour ce qui est du marquage JP dans un ovale, je ne suis pas certain qu'il existe réellement. Les impressions se faisaient avec des tampons qui resservaient pour plusieurs catalogues, et les erreurs n'étaient pas corrigées (il y a pas mal de cas similaires dans les catalogues Pecquet). Bref, une erreur due au graphiste qui a repris l'ovale et mis JP dedans pour faire comme le AP, mais en pensant qu'il s'agissait de Pérille : c'est tout à fait plausible pour moi. Évidemment, sauf si on trouve ce TB dans une collection..."

4 commentaires:

  1. Commentaire adressé par Bernard Devynck :
    -Vérification rapide de mes TB à Hélice, pas d'exemplaire 3 branches avec marque JP dans un ovale.
    - Par contre je te joins une facture du 15/11/1951 de BOILEAU ET BARADAT réunis, indiquant l'usine à Cosnes (58) et les adresses 20 rue Pavé et 15 rue Malher Paris (4°). Peut-on conclure de cette facture antérieure aux tarifs 1963 dont l'entête ne parle que des Ets BOILEAU, la poursuite de la collaboration après décès en 1930 de BARADAT, de la collaboration entre BOILEAU et le fils BARADAT, pas en tant que associé mais agent, et pour son magasin au 36 rue Réaumur ?
    -enfin concernant ton passage de "Juliette Elise Fernande épouse J.P Raoul BARADAT (1962-1929), peut-être une petite 'coquille' chronologique de date.

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  2. Merci Bernard, lecteur attentif !
    Je viens de corriger la coquille : Jean Pierre Raoul Baradat est né le 11 mai 1862 (bien sûr) à Dax et décédé le 24 mai 1929 en son domicile parisien 36 rue Réaumur.
    Collaboration entre Boileau et le fils Baradat : je n'ai rien trouvé concernant ce fils, ni son prénom, ni sa date de naissance, dans les années 1890 très probablement. Gérard Bidault indique qu'il n'était "pas associé, mais juste un agent" de Boileau. Son magasin était établi au dernier domicile du père (36 rue Réaumur). La facture dont tu m'as envoyé la copie date de 1951, soit 24 ans après la mort de ce dernier, mais comporte encore le téléphone Archives 56-42 : les documents commerciaux n'étaient pas revus très souvent... et nous ne pouvons même pas en déduire que le fils était encore en activité !

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  3. Bonjour les ménagerophiles,
    De ce que je peux voir des divers catalogues, le N°2517 a pas mal évolué au cours du temps. Déjà référencé sous ce numéro dans les premiers catalogues Pecquet (1887 et 1889), il désigne une ménagère à ailes aplaties (voir un peu échancrées au bout). Puis il change d'hélice pour en posséder une avec à bouts ronds et qui ne sont plus aplatis. Cela restera pour toute l'époque Pecquet (avec AP dans un triangle, sauf incursion en 1898 où il y a cette histoire de AP dans un ovale). Quand Boileau reprend la maison Il continue avec ce modèle. Dans tous les cas (et comme pour les ménagère Périlles N°80), il s'agit des ménagères avec l'hélice fixe sur la cloche.
    Dans mon catalogue Boileau (1928), il est dit que les modèles de ménagères (tous ?) peuvent "se faire avec la marque du client". Est-ce le cas par exemple du N°338 de la collection de Jean-Pierre pour le BHV dans un ovale ?
    Pour ce qui est du marquage JP dans un ovale, je ne suis pas certain qu'il existe réellement. Les impressions se faisaient avec des tampons qui resservaient pour plusieurs catalogues, et les erreurs n'étaient pas corrigées (il y a pas mal de cas similaires dans les catalogues Pecquets). Bref, une erreur due au graphiste qui a repris l'ovale et mis JP dedans pour faire comme le AP, mais en pensant qu'il s'agissait de Pérille : c'est tout à fait plausible pour moi. Évidemment, sauf si on trouve ce TB dans une collection...
    Voilà, beaucoup de mots pour pas grand chose, mais j'avais envie de participer.
    A plus
    Lionel

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  4. Merci Lionel, je reprends ton deuxième paragraphe en post-scriptum de mon article... ce serait quand même un beau scoop qu'un collectionneur possède ce TB marqué Pérille dans un ovale !

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