Amis lecteurs, bonjour !
Je voudrais vous raconter ma dernière aventure hélixophile :
Joseph, un ami brocanteur, m'avait fait saliver un peu il y a quelques semaines. On lui avait promis un beau tire-bouchon faisant partie d'un nécessaire d'officier et il me le réservait. Mais il me prévînt que vu le prix qu'on lui demandait, il ne pourrait que me le vendre cher !
J'étais prévenu et savais aussi que je ne pouvais pas le décevoir au risque de perdre ce bon "fournisseur" : il ne me restait donc plus qu'à lui acheter ce très beau nécessaire d'officier, dit aussi nécessaire de voyage.
L'ensemble, réellement de très belle qualité, était destiné aux repas pris en campagne. Il a manifestement servi et est dans un état d'usage.
Ce type d'objet n'est pas mon premier centre d'intérêt : je recherche plutôt des tire-bouchons en "T" à poignée de bronze, genre Gagnepain, ou des XVIIIe siècle quand ils sont accessibles à ma bourse. Je ne compte donc pas conserver ce nécessaire, mais le revendre. Cependant, l'objet étant magnifique et peu commun j'ai ressenti le besoin préalable d'en apprendre un peu plus sur son origine.
Voici donc les résultats de mes recherches sur :
LE TIRE-BOUCHON DE L'OFFICIER
Le tire-bouchon était de type "mèche et cheville" ou peg and worm, un modèle classique à mèche rainurée :
Commençons par en donner une description :
Le nécessaire, en maroquin rouge, est marqué aux initiales "M. S.".
Il est en forme de tonneau, s'ouvrant par le milieu ; sa hauteur est de 13 cm et son diamètre central de 8 cm.
La garniture intérieure est alvéolée pour contenir une timbale et sept accessoires.
La garniture intérieure est alvéolée pour contenir une timbale et sept accessoires.
La timbale et cinq de ces accessoires sont également monogrammés M. S. :
- timbale en métal argenté ou argent et bord doré ?
- cuillère pliante en argent massif, marquée TOURON,
- fourchette pliante en argent massif, marquée TOURON,
- couteau manche en ivoire, lame en acier, marqué TOURON PARIS 24 RUE DE LA PAIX,
- couteau manche en ivoire, lame en argent, poinçonné Minerve 1er titre (poinçon aux contours latéraux droits), et marqué TOURON, avec usure et manques (cf. photos),
- un tube en ivoire (pour épices ?), bouchon inférieur manquant.
Enfin :
- un cure-dent en ivoire, marqué TOURON, à petite lame métallique coudée,
- et bien sûr le tire-bouchon déjà évoqué.
Intéressons-nous maintenant au fabricant :
Le nom et l'adresse du fabricant
L'adresse frappée sur la lame de couteau nous a aidé dans nos recherches :
Un maître-orfèvre nommé Touron est effectivement installé au 24 rue de la Paix, Paris, de 1819 à 1838 (Source : vente aux enchères collection Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, organisée par Christie's et Pierre Bergé & associés, en février 2009).
Concernant cette adresse, précisons que c'est un décret de Napoléon 1er en 1806 qui a décidé l'ouverture de la future rue de la Paix, destinée à faire la jonction entre la place Vendôme et l'Opéra Garnier.
La rue de la Paix en 1906
(Wikipedia).
Le projet était d'en faire l'axe de prestige du commerce français, particulièrement celui de la joaillerie. Initialement baptisée rue Napoléon, la rue a pris le nom de rue de la Paix le 30 mai 1814, pour célébrer la nouvelle paix négociée en Europe.
Des origines lorraines, à Baccarat !
Une recherche généalogique nous a permis de retrouver quelques éléments supplémentaires :
Auguste Démophile Touron est né le 7 mars 1801 à La Verrerie Sainte-Anne, aujourd'hui rattachée à Baccarat (Lorraine), d'un père employé aux verreries de Baccarat. Auguste Démophile Touron est décédé le 7 juin 1868. Sa profession déclarée était : orfèvre, coutelier et son statut : propriétaire.
De son union avec Claudine Janthial est née une fille : Joséphine Benoite Touron laquelle ne poursuivra pas dans l'aventure paternelle.
Surtout, ces éléments nous montrent que Touron n'a que 18 ans quand il s'établit comme orfèvre à Paris en 1819 !
Ses affaires sont rapidement florissantes : un almanach de 1830 indique que Touron, également installé rue Richelieu, est "Fournisseur du Roi".
L'évolution de l'entreprise
Les traces laissées sur le net nous permettent d'esquisser l'historique de la maison Touron, maison spécialisée dans la coutellerie de luxe.
En 1839, la raison sociale change pour devenir "Touron et Cie", conséquence de l'association entre Auguste Démophile Touron et un autre coutelier, Edme Parisot.
Nouvelle évolution en 1842, l'entreprise devient "Touron Parisot Successeur". On ne sait ce qu'il advint de Touron qui était alors âgé de 41 ans seulement. Edme Parisot continue cependant d’utiliser la dénomination Touron, très renommée pour sa coutellerie de luxe, ce qui lui vaudra de devenir "Fournisseur de S.M. l'Empereur Napoléon III" pour une partie de la coutellerie d'apparat et aussi de travailler en partenariat avec la maison Christofle !
Vers 1865 et au moins jusqu'en 1878, Edme Parisot s'associe avec Edouard Gallois (1825-1894), orfèvre et négociant. Leur société prend le nom de "Parisot & Gallois". Elle conserve son établissement du 24 rue de la Paix, lequel sera toujours actif au début du XXe siècle.
Maison Touron et successeurs, 24 rue de la Paix Paris
(image Monsieur Von Tiki, Facebook).
La maison est réputée pour sa coutellerie et ses rasoirs coupe-choux, mais on retiendra pour l'anecdote que Parisot et Gallois furent aussi les inventeurs du couteau-fourchette à melon !
La datation du nécessaire
Il ne nous reste plus qu'à établir au plus près la période de fabrication de notre nécessaire d'officier :
Le poinçon Minerve, 1er titre, nous indique une fabrication postérieure à 1838.
La raison sociale "Touron" est antérieure à celle choisie en 1842 par le repreneur : "Touron Parisot Successeur".
C'est dire que notre luxueux nécessaire signé Touron date de 1840, à deux ans près.
-/-
Finalement, j'ai acheté beaucoup mieux qu'un petit "peg and worm", n'est-ce-pas !
M
Toujours intéressant ces petits bouts d histoire. 😃 Merci Marc
RépondreSupprimerMerci Isabelle, j'essaie de faire de mon mieux !
RépondreSupprimerBelle trouvaille!!!
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