Amis lecteurs, bonjour !
Voici les deuxième et troisième épisodes de notre feuilleton... pas télévisé, mais peut-être hebdomadaire :
MEURTRE ET TIRE-BOUCHON, ROUEN, 1890.
Vous découvrirez cette fois les chapitres 2 et 3 de cette histoire vraie retracée par Françoise VERGNAULT :
Pour relire l'article précédent publié sur cette affaire, cf. :
UNE HISTOIRE DE MEURTRE ET DE TIRE-BOUCHON DANS LE ROUEN DU XIX° SIECLE - CHAPITRE 1
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HISTOIRE VRAIE - DANS LE ROUEN DE LA FIN DU XIXème SIÈCLE
Chapitre 2
Comme chaque soir, en ce 6 mai 1890, Jules Adolphe Dubuc ferma son établissement vers les onze heures et demie, après le départ du dernier client.
Comme chaque soir, avec son garçon de café, Jean Hya dit Victor, il compta la caisse et rangea la recette dans le coffre du petit cabinet, tout en longueur, derrière la salle principale.
Comme chaque soir, avec son garçon de café, Jean Hya dit Victor, il compta la caisse et rangea la recette dans le coffre du petit cabinet, tout en longueur, derrière la salle principale.
Un bar, ailleurs, après le départ du dernier client...
Au départ de son employé, Jules Adolphe Dubuc éteignit les lumières des salles donnant sur la rue et s’en alla porter un bol de soupe à une de ses locataires, Madame Molière, occupant un petit appartement au premier étage de la maison.
Cette jeune femme, épouse d’un représentant de commerce en déplacements chaque semaine, venait d’accoucher. Un ménage pas vraiment fortuné, aussi le propriétaire apportait-il de bon cœur ce modeste repas, prenant aussi des nouvelles du nourrisson et de la maman.
Quelques minutes d’une conversation bien réconfortante pour cette jeune femme seule et isolée.
Ce fut donc une vingtaine de minutes plus tard que le sieur Dubuc revint au rez-de-chaussée, afin de faire un dernier tour dans les lieux, avant de monter se coucher dans la chambre qu’il occupait au premier étage.
Sa tournée nocturne s’acheva dans le petit cabinet, devant le coffre qu’il venait de rouvrir afin d’y ranger quelques documents.
Le coffre, en plus des gains du jour, soit cent quatre-vingt francs (ainsi qu’une petite pièce grecque de 1868), contenait entre deux et trois mille francs en espèces et quarante huit mille francs de titres.
Une légère angoisse étreignait le limonadier, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Il pensa que ce malaise venait de toutes les mises en garde qu’on lui faisait contre son ancien garçon de café qui, disait-on, rôdait depuis quelques jours dans la rue Frigori* et la rue des Charrettes.
* Le nom de cette rue disparue et son orthographe ont beaucoup fluctué : c'était l'ancienne Cour des pigeons, successivement appelée rue Grigoire, rue Trigorie, rue du Cornet d’argent, et restée dans les souvenirs comme la rue Frigory, Frigori ou Frigoly.
Jules Adolphe Dubuc essaya de balayer cette anxiété, se disant que l’individu n’oserait pas s’attaquer à lui.
* Le nom de cette rue disparue et son orthographe ont beaucoup fluctué : c'était l'ancienne Cour des pigeons, successivement appelée rue Grigoire, rue Trigorie, rue du Cornet d’argent, et restée dans les souvenirs comme la rue Frigory, Frigori ou Frigoly.
Jules Adolphe Dubuc essaya de balayer cette anxiété, se disant que l’individu n’oserait pas s’attaquer à lui.
« Une grande gueule, certes, mais qui n’irait pas jusqu’aux actes », se rassura-t-il.
Pourtant, à cet instant, il sentait comme une présence, là, derrière lui. Prémonitions ?
Tout à ses réflexions, quelques peu moroses, il ressentit une forte douleur à l’arrière du crâne. Se retournant brusquement, il se trouva face à l’individu qui occupait à l’instant même ses pensées.
L’attaque avait été violente, mais malgré la douleur qui lui enserrait la boite crânienne, il chercha à se défendre.
Suffoquant, il essayait de s’extraire à l’emprise des mains qui lui serraient le cou. Il griffait, tapait, s’agitait en vain, car ses forces déclinaient peu à peu.
Malheureusement, l’agresseur, plus vigoureux, prit l’avantage. Un sursaut d’énergie, dû à l’instinct de survie, donna à la misérable victime la force de hurler : « Au voleur ! L’assassin ! ».
Cet appel à l’aide, cri désespéré jeté dans la nuit, résonna lugubrement.
Mais serait-il entendu, alors que tout semblait dormir alentour ?
Toutefois, ces cris de détresse sortirent quelques dormeurs de leur premier sommeil. Une lumière, puis une autre éclairèrent la façade de l’immeuble donnant sur la cour intérieure. Une tête, puis une autre sortirent de l’entrebâillement de fenêtres ouvertes à la hâte.
Ce fut la dame Molière qui, la première, entendit les appels mêlés à un bruit de lutte.
Ce fut elle qui alla prévenir sa voisine, la dame Lemercerre , qui s’habilla à la hâte et s’en alla toquer à la porte voisine, celle de l’appartement des Volits, autres locataires du petit immeuble.
Ce fut donc en force que les Volits, suivis des dames Lemercerre et Molière, descendirent l’escalier les menant à la cour intérieure. Où là, plus aucun bruit. Aucune lumière non plus.
Tous quatre cherchèrent le limonadier, car assurément, c’était bien sa voix qu’ils avaient entendue quelques instants auparavant. Ce silence pesant ne leur semblait pas de bon augure.
Dans le café, rien n’avait bougé, si ce n’était dans ...
Il n’y avait plus d’autre alternative que d’aller prévenir les autorités au poste de police numéro deux, celui de leur quartier. Après avoir expliqué les raisons de leur venue, ils regagnèrent la rue des Charrettes, accompagnés de deux agents de police.
Agents de police, années 1890.
Et ce fut avec ces deux agents de la force de l’ordre qu’ils pénétrèrent à nouveau dans le café, pour montrer leur macabre découverte : le cadavre de Jules Adolphe Dubuc gisant à plat dos sur le sol, les yeux grand ouverts, au milieu d’une mare de sang et le coffre, non loin de là, porte béante.
Ne restait plus, à présent, à découvrir l’auteur et le mobile de cet acte horrible.
Mais déjà, les soupçons se dirigeaient vers une personne en particulier.
Chapitre 3
L’agresseur s’était fondu dans la nuit à l’approche des bruits de pas et des échanges à voix basses provenant de la cour intérieure.
Il n’avait pu emporter que peu d’argent. Pas assez ! Mais sa liberté était à ce maigre prix.
Il ne rencontra âme qui vive sur son chemin jusqu’à la rue du Petit Salut* où il regagna sa chambre en catimini pour ne pas être surpris.
* Située à trois cents mètres environ du Café Dubuc, la rue du Petit Salut allait-elle mériter son nom ? Notre homme pensait bien lui devoir le sien !
C'était en fait l'ancienne rue des Tailleurs, à quelques pas de la cathédrale Notre-Dame de Rouen.
* Située à trois cents mètres environ du Café Dubuc, la rue du Petit Salut allait-elle mériter son nom ? Notre homme pensait bien lui devoir le sien !
C'était en fait l'ancienne rue des Tailleurs, à quelques pas de la cathédrale Notre-Dame de Rouen.
A cette heure de la nuit, personne n’avait dû s’apercevoir de son absence. Du moins, l’espérait-il.
Aussitôt, dans sa chambre, il fit un brin de toilette et surtout changea de chemise, celle qu’il portait était maculée de sang, du sang qu’il fallait absolument faire disparaître. Cette lessive achevée, il s’allongea sur sa paillasse, guettant les bruits dans l’escalier menant au palier où trois portes donnaient accès à trois chambres inconfortables mais relativement bon marché. Les commodités, peu commodes d’ailleurs, se trouvaient dans la cour, pompe afin de s’approvisionner en eau et trou d’aisance malodorant.
Il guettait donc des bruits de pas, ceux de Edmond Henry, son voisin de palier, revenant du café où il servait comme garçon.
Il lui fallait un témoin et un alibi, aussi avait-il l’idée d’inviter ce camarade qui ainsi pourrait attester qu’il était bien chez lui à l’heure où un acte criminel venait de se produire quelques rues plus loin.
Des pas un peu traînants se firent entendre. Lorsqu’ils s’arrêtèrent sur le palier, Constant Roy (car il s’agissait bien de lui, pourquoi vous le cacher plus longtemps, vous l’aviez deviné) ouvrit sa porte et découvrit son voisin, lequel, une clef en main, s’apprêtait à entrer dans sa chambre. Il semblait harassé et visiblement n’avait qu’une envie, se mettre au lit.
"Salut ! J’ t’attendais !
- Ah ! Et pourquoi donc ?
- T’aurais pas d’ la bougie, j’en manque? Et puis, j’ voulais t’inviter à souper.
- C’est qu’ j’en ai plein les pattes, pardi, et qu’ j’aimerais bien m’ coucher. Attends, j’ regarde pour la bougie.
- Allez, viens donc ! C’est moi qu’invite !
- Toi, j’ croyais qu’ t’étais fauché ?
- J’viens d’ recevoir un peu d’ ma famille, pour m’aider : ça s’ fête !"
Il fallait que l’autre acceptât, aussi Constant Roy se fit convainquant, voir suppliant, jusqu’au moment où l’autre céda, sans grand enthousiasme, il faut bien le dire.
Alors, tous deux se rendirent par les rues rouennaises désertes jusqu’au café de la veuve Salles* où ils s’attablèrent dans un coin à l’écart pour festoyer, oui, festoyer, car c’était bien là un festin qui coûta cinq francs, ce qui n’était pas rien. Etonnant pour quelqu’un qui se disait sans le sou.
Alors, tous deux se rendirent par les rues rouennaises désertes jusqu’au café de la veuve Salles* où ils s’attablèrent dans un coin à l’écart pour festoyer, oui, festoyer, car c’était bien là un festin qui coûta cinq francs, ce qui n’était pas rien. Etonnant pour quelqu’un qui se disait sans le sou.
* le Café de la veuve Salles n'a pas pu être localisé. Cependant, forcément proche de la rue du Petit Salut, peut-être l'était-il aussi de l'église Saint-Laurent désaffectée et louée alors à des repasseuses.
Cette église, nous la connaissons tous : c'est aujourd'hui le Musée de la ferronnerie Le Secq des Tournelles où est exposée une extraordinaire collection de tire-bouchons des XVIIe et XVIIIe siècles !
Légende : Eglise et Tour Saint-Laurent
Abandonnées, servent aujourd'hui de magasins.
(Delcampe)
RECTIFICATIF :
Depuis la parution de cet article, nous avons réussi à localiser le Café Salles : il se situait au 11 de la place du Vieux Marché. On y reviendra dans le prochain article.
Au menu : Des œufs, du jambon et une tranche de veau. Le tout, bien arrosé, comme il se doit.
Au moment de régler l’addition, Edmond Henry fut terriblement étonné de voir son camarade sortir autant de pièces de monnaie de sa poche, que des pièces d’un franc, parmi lesquelles se trouvait une petite pièce grecque qui attira son attention. En homme de bon sens, il se demanda si Constant Roy avait réglé ses dettes avant de dépenser autant sans compter. Mais l’autre affichait une bonne humeur, non feinte, et une inconscience loin d’être en rapport avec sa situation précaire. Chômeur et criblé de dettes.
Le retour vers le logis de leur logeuse se fit joyeusement, en discutant de choses et d’autres, sans grande importance.
Un caprice de Constant Roy leur fit faire un crochet par la rue des charrettes, alors qu’il eût été plus court de prendre par les quais.
Pourquoi cette envie soudaine ?
La suite nous apportera sans doute la réponse.
(à suivre, semaine prochaine)
Commentaire transmis par Michel : "Bonne idée qu'a eu Françoise d'aller fouiller dans des journaux anciens et d'y trouver de telles histoires à raconter ! J'ai hâte de lire la suite."
RépondreSupprimerMerci pour Françoise. J'aime aussi beaucoup ce qu'elle fait et la façon dont elle raconte !
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