mardi 4 mars 2014

AUSSI BIEN QU'UN BEAU TIRE-BOUCHON : UNE BOUTEILLE DE "MARGAUX DÉFENDU" !


Amis lecteurs, bonsoir !


Dans mon précédent billet, je vous racontais comment une trouvaille faite sur l'ultime stand des Euro-puces à Reims avait sauvé ma brocante.
C'était une bouteille ancienne qui avait attiré in extremis mon regard, mais pas n'importe laquelle : 
une très rare bouteille estampée "MARGAUX BEL-AIR MARQUIS D'ALIGRE" d'un côté et "DÉFENDU D'EN LAISSER" de l'autre.

Que je vous la décrive, désirable comme elle m'est apparue : racée, élégante et brillante, de taille moyenne, aux épaules marquées, au col décoré de bijoux, à la jolie robe ornée de perles d'air... 
Sa belle teinte vert olive lui conférait un port de sirène ! 
Je suis tombé d'emblée sous le charme, séduit, conquis, ensorcelé !

Admirez la, vous aussi :



J'avais pour ma part intensément désiré "posséder cette belle" en voyant sa photo dans le beau livre de Jean-Robert Pitte, livre que je vous avais présenté il y a quelques mois dans une fiche bibliographique :



Et voilà que "la belle" s'était offerte à moi !

La comparaison ne laissait en effet pas place pour le doute : la bouteille que je venais d'acheter était bien une de ces bordelaises si bien présentées par Jean-Robert Pitte.

Voici la description qu'en fait l'auteur, page 156  :
" L'une des premières vraies bordelaises, quasiment cylindrique, est le modèle que commande vers 1825 le marquis Etienne d'Aligre (1770-1847), pair de France, sans doute à l'une des verreries de Bordeaux ou de Bourg, pour y loger le vin de son domaine de Margaux, le château Bel-Air. Cet homme politique riche et influent, propriétaire de plus de 20 000 ha de terres dans toute la France, ne vend à personne son cher vin de Margaux. Celui-ci est exclusivement réservé à sa table et à quelques cadeaux destinés à ses amis et connaissances. A la mode anglaise, exceptionnelle en France, il fait apposer sur les très belles bouteilles de couleur vert olive, en verre légèrement bullé et au col torsadé, un gros cachet de verre de 4 à 5 cm de diamètre, estampé du textes suivant disposé sur quatre lignes : "MARGAUX BEL-AIR MARQUIS D'ALIGRE". Sur la face opposée, il demande que l'on appose un second cachet de 6 cm de longueur, en forme de feston, sur lequel il fait écrire facétieusement :"DÉFENDU D'EN LAISSER"."

C'est pour cette raison, écrit-il plus loin, que ce vin a été surnommé "Margaux défendu", et de nous renvoyer au "Monde illustré" du 25 septembre 1858, page 195.
J'ai retrouvé le numéro concerné, il s'agit du n° 76, mais je n'ai pas pu accéder à l'article.


Dans son blog 
http://www.academiedesvinsanciens.com/
François Audouze, lui, situe l'article du "Monde illustré" en 1857 ; en voici un extrait, cité par lui :

"Le marquis d’Aligre, alors qu’il était propriétaire du Château de Bel-Air en plein cru Margaux, ne souffrait point que ce vin allât dans le commerce. Tout entrait dans ses caves et n’en ressortait que pour la table, ou pour quelques cadeaux de loin en loin. A sa mort, deux amateurs qui connaissaient et appréciaient cette liqueur exquise, se disputèrent ce qui restait dans les catacombes de l’hôtel célèbre de la rue d’Anjou : l’un était M. Frédéric Gaillardat, dont le nom est inséparable du plus grand succès dramatique de notre temps (La Tour de Nesles), aujourd’hui écrivain politique de premier ordre et amateur de vins rares, pour les offrir à ses amis. L’autre acquéreur était le Comte d’Ignenville, mort l’an dernier en laissant une petite cave de trois mille bouteilles ! Ses bouteilles de château Aligre furent partagées par un agent d’une grande maison bordelaise entre deux restaurateurs.

A la mort du marquis, le Château de Bel-Air a été acheté par M. Viguerie, banquier et président du tribunal de commerce de Toulouse. Il paraît que cet heureux propriétaire suit l’égoïste tradition du marquis et ne vend pas son vin! Chez lui il n’est pas défendu d’en laisser, il est défendu d’en prendre ! Les deux restaurateurs, quant à eux, avouent n’en avoir plus que trente trois bouteilles… le reste est dans la cave à porte de fer de M. Frédéric Gaillardat. Quelqu’un, un spéculateur, qui a su l’affaire, a essayé d’obtenir les fameuses bouteilles vides du vin incomparable, évidemment pour les remplir d’un autre vin de choix et profiter frauduleusement de la tradition d’Aligre et des légendes du verre. Mais l’honorable écrivain informé de la tentative, fait briser toutes les bouteilles à mesure que son hospitalité les épuise, étendant ainsi la curieuse inscription, non pas seulement au délicieux contenu, mais au contenant même. Une de ces bouteilles authentiquement pleine, sera donc sous peu une curiosité digne d’un musée."


Beaucoup des bouteilles vides de "Margaux défendu" auraient été cassées pour éviter qu'elles ne soient réutilisées frauduleusement !


Mais pour en revenir à la bouteille que je venais d'acquérir aux Euro-puces de Reims, je l'ai examinée attentivement avant de la photographier.

Elle pèse vide 600 g et sa contenance calculée est de 0,65 l.
Elle a une hauteur de 27 cm, est très légèrement tronconique avec des diamètres inférieur de 7,5 cm et supérieur de 7,8 cm.
Le fond, de forme dissymétrique, est piqué au pontil.
Le col est court et effectivement torsadé. Son diamètre intérieur, régulier, est de 1,9 cm.
Un filet de verre rapporté, ou cordeline, renforce le goulot.

Surtout, les deux cachets de verre sont bien au rendez-vous, identiques à ceux photographiés dans le livre de Jean-Robert PITTE : jugez-en.









Une question me hante : qu'est donc devenu le tire-bouchon qui a ouvert ma belle bouteille ?


A vous, je propose trois autres questions pour conclure : 

- comment appelle-t-on les collectionneurs de bouteilles anciennes (vides) ?
- à quelle ancienne mesure de volume correspond cette capacité de 65 cl (bouteille complètement remplie, sans "faux-col") ?
- qui pourrait me procurer copie de l'article consacré au "Margaux défendu" dans le Monde illustré ?


Je ne manquerai pas de publier vos réponses.


M

5 commentaires:

  1. Message de Loïc :
    Bonjour Marc,
    Une suggestion concernant la contenance de ta bouteille du Margaux Bel-Air Marquis d’Aligre : je suis en train de lire le livre « Histoire sociale et culturelle du vin » de Gilbert GARRIER (Edition Larousse In extenso) ; à la page 567 au paragraphe « Bouteille », je lis que la bouteille dite « La Parisienne » contient une pinte, soit 93 cl, la bouteille dite « La Demoiselle » contient 2/3 de pinte, soit 62 cl, la bouteille dite « La Fillette » contient 1/3 de pinte, soit 31 cl.
    Si je calcule le volume du bouchon et le volume de l’espace (du col) entre le bas du bouchon et le haut du vin, ça doit faire environ 3 cl.
    Donc 65 cl sans « faux col », moins 3 cl du volume précédemment décrit ça fait 62 cl. Ta bouteille pourrait donc être une « Fillette ».
    Amicalement

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  2. Merci Loïc,
    J'en étais moi aussi arrivé aux 2/3 de pinte de Paris, mais j'ignorais que cette contenance correspondait à une bouteille appelée "Demoiselle".
    Je pense d'ailleurs que c'est ce que tu as voulu dire à la fin de ton message, et que tu n'as écris "Fillette" que par erreur.
    N'ayant rien de Nabokov, je préfère mille fois les Demoiselles aux Fillettes ! Et cette Demoiselle là m'avait franchement fait de l"oeil ! ;-)

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  3. Marc bonjour,

    Commentaire transmis par Alain :
    Très belle acquisition cette bouteille de Margaux. Je ne suis pas collectionneur (j'ai 1 bouteille angevine pour le décor) mais j'aurais pu être tenté par cette bouteille.

    En regardant dans mes archives, je vois plusieurs noms pour les collectionneurs de bouteilles, dont 2 retiennent mon attention.
    > bouteilles en général = Buttivitrumbibephile ;
    > bouteilles anciennes = Buttisufflaphiliste ; on comprend bien qu'il s'agit de 'bouteilles soufflées'.
    Cordialement.

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  4. Message de François :
    Bonjour Marc,
    Comme toujours, ton blog est riche en belles choses qui nous parlent. Je vois que tu aimes aussi les bouteilles anciennes et leur histoire.
    Je possede aussi une Marquis d'Aligre, comme la tienne, je l'aime beaucoup et quelle contradiction avec les "buvez avec moderation" de nos jours!
    Quand j'aurai une minute, je t'enverrai qqs photos d'une bouteille anglaise cylindrique annee 1785 avec un bel ecusson
    Bien a toi, merci et au plaisir de te lire.
    Francois

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  5. Commentaire de Loïc :
    Bonjour Marc,
    Ci-dessous un lien vers un article sur la contenance des bouteilles à vin :
    http://www.amicaleretraites-saint-gobain.com/La-contenance-des-bouteilles-a-vin
    Tu y trouveras peut-être des éléments intéressants.
    Amicalement.

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