Cromwell, entre 1649 et 1651, à en croire Voltaire ?
Patrice Husson se demande :
"Est-ce Cromwell (1599-1658) ? Vu dans les Œuvres de Voltaire parues en 1756."
Et Patrice d'ajouter dans notre échange que Voltaire a probablement repris des éléments biographiques plus anciens qu'il faudrait pouvoir retrouver : ils nous permettraient sûrement de nous rapprocher de la date de l'anecdote.
Je suis de cet avis : Voltaire évoque d'ailleurs "une anecdote certaine conservée dans la maison de St. Jean".
Extrait des Œuvres complètes de Voltaire, 1757.
Bert Giulian, dans une longue contribution, rejoint tout d'abord Patrice.
Il m'écrit, avec humour :
"Je sais que tu as une référence précoce de Voltaire et je ne pense pas pouvoir en trouver une plus ancienne. Tu mérites le prix !"
Bert, comme Patrice, fait ici allusion à une présentation de cette citation que j'avais faite dans le cadre du Club Français du Tire-Bouchon.
La citation est tirée des Œuvres complètes de Voltaire parues en 1757.
L'anecdote est datable :
- Cromwell est parvenu au pouvoir après le procès et surtout l'exécution du roi Charles 1er le 30 janvier 1649.
- La scène décrite par Voltaire réunit Cromwell en train de boire avec ses conseillers Ireton, Fletwood et Saint-Jean, tous cherchant un tire-bouchon tombé sous la table. Or Ireton, gendre de Cromwell, est mort le 26 novembre 1651 : c'est donc entre 1649 et 1651 qu'a pu avoir lieu la scène décrite par Voltaire.
Mais le texte de Voltaire est postérieur d'un siècle à la scène décrite... il faudrait vraiment pouvoir accéder à la source, peut-être dans la maison de Saint-Jean ?
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William Morice en 1767 ?
Dans sa contribution, Bert poursuit en évoquant d'autres citations, anciennes mais sujettes à caution :
"Un [texte] que j’aime mérite d'être inséré ici, bien que ne décrivant pas spécifiquement un tire-bouchon : une mention précoce d’un scrue a été faite par William Morice en 1657, qui a déclaré au sens figuré, "They must be strange Scrues and Wires that shall draw this conclusion from the Text".
Soit approximativement en français : "Ce doit être d'étranges vis et fils pour tirer cette conclusion à partir du Texte". Scrues and Wires, des vis et des fils en français : il faut peut-être voir là l'équivalent de l'expression française "tirer les ficelles [sous-entendu, des marionnettes]" et les manipuler discrètement.
Grâce à Bert, j'ai retrouvé cette citation dans le Oxford English Dictionary.
On y voit un article consacré au mot "screw". La sixième acception est celle qui nous intéresse particulièrement :
6. a. An instrument terminating in a ‘worm’ for screwing into something in order to pull it out; esp. a corkscrew; also, the ‘worm’ itself. Also fig.
screw or kettle = corkscrew (i.e. wine) or hot water (i.e. grog).
1657 W. Morice Coena quasi Κοινὴ Dial. iii. 145 They must be strange Scrues and Wires that shall draw this conclusion from the Text. 1702 Bottle Screw [see bottle n.1 5]. 1768–74 Tucker Lt. Nat. (1834) II. 461, I have stopped the bottle with a good cork; I can draw it out again with a screw. 1819 Edin. Ann. Reg. (1823) XII. App. 74 James Smith proved his making a worm or screw to the ramrod of the pistol. 1832 J. Barrington Sk. III. iv. 44 He was the hardest-goer either at kettle or screw‥of the whole grand~jury. 1835 W. H. Maxwell My Life II. i. 7 Good eating, produced good drinking;‥and the commander politely inquired whether I would be for ‘screw or kettle’.
Le premier exemple donné cite un écrit de William Morice, daté de 1657. Je partage le sentiment exprimé par Bert Giulian : "C’est une discussion religieuse complexe et il est difficile pour moi de suivre la terminologie et la construction en anglais ancien. Je pense que Morice exprime une conviction dans une controverse. Obtrude signifie importun ou intrusif. Morice a de la difficulté à recevoir une réponse à sa question et ne s’y attend apparemment pas.
Scrues and Wires sont des termes appropriés pour nous et suggèrent une hélice de fil de fer à "dessiner".
Mais, je suis d’accord avec toi, ce n’est pas concluant. Cette référence appartient à une catégorie de soutien à une thèse, comme celle de Voltaire."
J'avoue avoir un peu de mal à comprendre pourquoi la citation de Morice a été utilisée pour illustrer cette acception dans le Oxford English Dictionary.
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Sedulius Scottus... au IXe siècle ?
Redonnons la parole à Bert :
"Et, bien sûr, au moins pour penser au sujet, il est difficile de battre le moine irlandais, Sedulius Scottus, écrivant au 9ème siècle :
Balsami cortex redolens aroma
Ungulis ferri patiturne vulnus,
Unde fissuris pretiso manat
Gutta liquoris ?
Ce que Bert traduit en anglais par :
Does not the cork, redolent of balsam,
Endure the piercing of the iron claw,
Whence from the fissures flow such a precious
Drop of liquid?
Et dont je vous propose pour ma part cette version en français :
L'écorce, rêvant de baume,
Endure le percement par la griffe de fer,
Et de la blessure coule comme une précieuse
Goutte de liqueur ?
Ma traduction nous éloigne d'un débouchage de récipients fermés au liège pour évoquer plutôt le gemmage des pins.
Cortex signifie à la fois le liège et l'écorce. Et la griffe de fer correspond bien à l'outil de gemmage qu'utilisaient déjà les gallo-romains pour récolter la résine des pins.
Retenons de l'échange avec Bert que les anciennes citations sont matière à réflexion, à doute, mais aussi à échanges féconds.
Nous ne sommes certes pas dans "l'indubitable", mais la poésie est belle !
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