Je vous propose de revenir aujourd'hui sur
La saga de Jules Bart et ses fils
C'est un peu loin de chez moi, mais comment résister ? Contacté, Roger Bart voulut bien me recevoir et la rencontre a eu lieu chez lui le 14 juin 2021.
Voici le compte rendu de cette rencontre.
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La jeunesse de Jules Bart
Roger Bart m'a raconté son père : Marie, Jules, Léon, Joseph, appelé plus simplement Jules Bart. Né en 1893, il était le fils de Jules Bart, artisan ferblantier installé à Saint-Clément (Meurthe-et-Moselle), et de Juliette Paris, gantière.
Après l'école primaire, Jules n'a pas rejoint l'atelier de son père. Il est en fait entré comme apprenti mécanicien chez Lorraine-Dietrich, constructeur automobile renommé, installé à Lunéville. Il y côtoie l'ingénieur Ettore Bugatti, qu'avait embauché Eugène de Dietrich. De ces années nait sa passion pour les bolides. Doté d'un esprit curieux, comprenant instantanément les mécanismes les plus complexes, Jules construit bientôt de toutes pièces sa première voiture, avant de pouvoir acquérir de véritables automobiles de prestige, Lorraine-Dietrich et Bugatti bien sûr.
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De l'invention du ZIG-ZAG aux Ateliers Jules Bart
La première guerre mondiale arrive et Jules la passe en captivité en Allemagne : fait prisonnier en 1914, il y restera jusqu'à la fin du conflit. Deux de ses camarades de captivité vont le marquer fortement. L'un, polytechnicien, repère ses bonnes aptitudes et lui enseigne les mathématiques ; il ne parviendra cependant pas à le convaincre de reprendre des études après la guerre. L'autre se nomme Ehrenfeuchter (orthographe invérifiable), il est bijoutier place Vendôme à Paris ; en lui parlant de sa fabrication de broches articulées façon pantographe, il donne à Jules Bart l'idée qui le conduira au ZIG-ZAG.
Sa première demande de brevet pour le tire-bouchon ZIG-ZAG suit de peu son retour à la vie civile : il la dépose en effet le 17 septembre 1919 et le brevet lui est accordé le 29 mars 1920 sous la référence n° 503.957.
Son projet d'entreprise va aussi pouvoir se concrétiser inopinément grâce à l'héritage d'une tante vivant au Brésil ! Ce financement inattendu va permettre la création d'un atelier et son équipement en tours automatiques rachetés à l'armée française.
L'entreprise n'est pas une société, mais une entreprise en nom personnel : "Les Ateliers Jules Bart" ; et Jules Bart se présente comme constructeur-mécanicien, installé au 4 rue Molitor à Nancy, avant de déménager en 1922 au 14 rue du Placieux, toujours à Nancy.
L'entreprise est florissante et compte rapidement vingt-cinq salariés.
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La famille Bart
Jules Bart a épousé Renée Marthe Roehm (1896-1976), fille d'un commerçant en chaussures.
Deux fils naissent de cette union : Jean en 1922, puis Roger en 1926. Des frères qui ne s'entendront pas, l'aîné n'ayant jamais accepté le cadet.
deux frères qui se sont toujours regardés en "chiens de faïence".
Le temps des inventions
Jules Bart a l'esprit inventif. Fabrications et dépôts de brevets se succèdent.
- Le tire-bouchon extensible DEBOUCHTOUT, version "low-cost" dépourvue de ressort. La demande est présentée le 18 novembre 1927, comme un additif au brevet 503.957 du ZIG-ZAG ; le brevet est délivré le 19 février 1929.
- L'ouvre-boîte TOUTYP, brevet demandé le 09 juillet 1929 et délivré le 23 décembre 1929 sous le numéro 678.075.
- Un autre "Ouvre-boite à conserves", probablement destiné à l'équipement des soldats : brevet 760.984, demandé le 20 septembre 1933 et délivré le 27 décembre 1933.
- Le presse-purée MOUSSE (brevet non retrouvé).
- Le moulin à légumes à lame tournante, dit NOVOTYP : brevet 763.192 demandé le 30 octobre 1933 et délivré le 05 février 1934. Selon Roger Bart, l'erreur de son père a été de ne pas croire dans le succès de cette dernière invention, laquelle sera largement reprise par la concurrence.- La bougie TURBY (brevet non retrouvé). Jules Bart est passionné de sports mécaniques au point de financer ses propres pilotes sur voitures Bugatti et motos belges Sarolea. Il invente un modèle de bougie à électrode réglable : la TURBY. La bougie est ainsi nommée en référence à la course de côte de Nice-La Turbie (Var), remportée huit fois entre 1922 et 1935 par des voitures Bugatti, les T35 particulièrement.
Vers 1937, la famille passe quelques jours en Alsace et Jules emmène ses fils admirer le pont du Rhin entre Strasbourg et Kehl. Découvrant sur l'autre rive la douane allemande arborant le drapeau à croix gammée, il dit sa conviction à ses fils : "ils vont remettre ça !".
Les ateliers Jules Bart sont fournisseurs de l'armée française : pour cette raison et dans le contexte de montée de la menace de guerre, leur déménagement fait partie de ceux jugés prioritaires par les autorités militaires. Il est effectif à la déclaration de guerre en septembre1939.
L'armistice de 1940 place cependant Mortagne-sur-Sèvre en zone occupée… aussi bien que Nancy et la Meurthe-et-Moselle : tout ça pour rien !
Les fabrications civiles (tire-bouchons, ouvre-boîtes, quelques commandes Citroën…) se poursuivent malgré les restrictions dans les livraisons de bronze et d'acier, et permettent à l'entreprise de se maintenir.
Mais Jules Bart décède subitement en juillet 1945 : il n'a pas 53 ans !
Roger Bart explique que sa mère a alors proposé à Jean de reprendre les rênes, ce que celui-ci a accepté à la condition expresse d'être seul aux commandes. En 1947, Jean devient ainsi le gérant de la "Société des Ateliers Jules BART et ses Fils", société en nom collectif constituée pour dix ans.
Les conditions d'un conflit familial sont installées.
Selon Roger, la gestion de Jean est erratique. Aucun nouveau brevet n'est déposé pendant cette période. Jean n'associe pas, ou pas suffisamment, sa mère et son frère aux résultats de l'entreprise : sa mère est ainsi privée de sa source de revenus. Devant cette situation, Renée et Roger, majoritaires en parts, finissent par décider l'éviction de Jean, puis au terme d'une procédure, de lui racheter ses parts. Ils bénéficient pour ce faire de l'aide financière des amis de Jules Bart, mobilisés par le propriétaire de la revue "Le Quincaillier".
La version de Jean, exprimée dans un courriel, est différente : " En décembre 1957, avant l'échéance de la société, je m'en suis retiré en cédant mes parts à ma mère et à mon frère."
Jean part, laissant l'entreprise en difficulté selon son frère Roger, qui prend le relais en 1958 et fonde la "Société en nom collectif Veuve Jules BART et son fils successeur".
Cependant Roger exerce déjà une profession : il occupe un poste de chef comptable au Commissariat à l'Energie Atomique et n'est pas suffisamment disponible. Face aux difficultés persistantes de l'entreprise, et en accord avec sa mère, il décide alors en 1959 de vendre, sinon la société, du moins les droits et la production des tire-bouchons ZIG-ZAG et DEBOUCHTOUT à deux associés, Dubois et Crespeau, propriétaires de l'entreprise TIMECA à Cahors.
La cessation d'activité et la fermeture et des ateliers interviennent en mai 1961 pour la fabrication, et en 1965 pour la vente des immeubles.
Dans la dernière étape en effet, en 1976, la société L'IDEAL succède à la société BOILEAU ZIG-ZAG et TIMECA, puis rachète le fabricant de doseurs DOSVER en 2002.
Et depuis plus d'un siècle maintenant l'aventure du ZIG-ZAG, la "Bugatti du tire-bouchon", se poursuit !
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J'adresse mes plus sincères remerciements à Roger Bart et à son petit-fils pour cette rencontre et ce témoignage inespéré.
M
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