vendredi 17 avril 2020

UNE HISTOIRE DE MEURTRE ET DE TIRE-BOUCHON DANS LE ROUEN DU XIX° SIECLE - CHAPITRE 4 ET COUVERTURE PRESSE



Amis lecteurs, bonjour !



Voici le troisième épisode de notre feuilleton... qui voit l'interpellation du présumé assassin, suivie de la relation de l'affaire par la presse :


MEURTRE ET TIRE-BOUCHON, ROUEN, 1890.

Vous découvrirez cette fois le chapitre 4 de cette histoire vraie retracée par Françoise VERGNAULT :

Pour relire les articles précédents publiés sur cette affaire, cf. :
UNE HISTOIRE DE MEURTRE ET DE TIRE-BOUCHON DANS LE ROUEN DU XIX° SIECLE - CHAPITRE 1

UNE HISTOIRE DE MEURTRE ET DE TIRE-BOUCHON DANS LE ROUEN DU XIX° SIECLE - CHAPITRES 2 ET 3



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HISTOIRE VRAIE - DANS LE ROUEN DE LA FIN DU XIXème SIÈCLE


Chapitre 4


Retournons un peu en arrière, rue des Charrettes où les quatre voisins revinrent accompagnés des deux agents de sûreté.



Agent de la Sûreté, un peu caricaturé...
Vers 1900 (CPA, Delcampe).


Sur les lieux, devant  la macabre découverte, les deux agents trouvant la situation critique (ne l’était-elle pas d’ailleurs ?) allèrent en informer  leurs supérieurs qui, réveillés en plein sommeil, se déplacèrent au plus vite. L’affaire n’était-elle pas d’importance ?

Ce ne furent pas des sous-fifres qui arrivèrent en renfort rue des Charrettes, loin de là, mais :
Monsieur Masquin, commissaire central.
Monsieur Collignon, commissaire de police.
Monsieur Prost, chef de sûreté.
Ils établirent rapidement et efficacement leurs premiers constats.
1. Le sieur Dubuc, limonadier, était bien décédé.
2. Il s’agissait bien là d’un meurtre.
3. Il y avait eu vol également. Le mobile de cette agression mortelle bien évidemment.
4. Sur le sol, un trousseau de clefs, celui rassemblant assurément toutes les clefs de l’établissement dont celle, sans doute, du coffre-fort.
5. Un tire-bouchon* très court, au manche de corne, près du cadavre, attira leur attention. Un tire-bouchon ? Quoi de plus naturel dans un débit de boissons ! Mais celui-ci, un tantinet tordu, maculé de sang coagulé et portant quelques cheveux, semblait être, après constatation, l’arme du crime. Mais prudence, il fallait s’en assurer !

* Le tire-bouchon, désigné comme l'arme du crime, nous interpelle. Il est peu décrit, sinon comme très court et muni d'un manche de corne. Comment tuer quelqu'un avec un tel ustensile ? La presse nous en apprendra peut-être un peu plus bientôt : cf. fin de cet article.

Après ces cinq constats, il ne restait plus qu’à préciser quelques détails et découvrir ce qui s’était réellement passé entre 11 h 30 du soir et 0 h 30 du matin, dans cette nuit du 6 au 7 mai 1890.

Alors intervinrent les témoins, ceux qui les premiers avaient entendu les appels à l’aide et découvert le défunt, et les derniers à avoir vu le sieur limonadier vivant, la femme Molière et le garçon de café, Victor Hiaa. 
On alla d’abord quérir Victor Hiaa qui demeurait dans la même rue, au numéro 39.
« Ça devait arriver ! s’exclama-t-il en apprenant l’horrible nouvelle. Et je sais qui a fait le coup ! »

Cette déclaration spontanée ne pouvait qu’intéresser fortement le chef de la sûreté.
Si ce témoin disait vrai, ce serait une affaire rondement menée, et l’assassin serait bientôt sous les verrous.
Oui mais, parole de justice : il faut toujours se méfier des témoignages trop hâtifs, ceux-ci se révélant souvent jalouses délations. Prudence !

Mais, Victor Hiaa ne fut pas le seul, beaucoup d’autres avancèrent les mêmes accusations, visant une seule et même personne : Constant Roy, cet individu qui depuis plusieurs jours guettait, surveillait, attendait son heure, tapi dans l’ombre d’un recoin. 

-/-

Vers les trois heures du matin, Monsieur Prost, chef de sûreté, alla toquer à la porte de la chambre du dénommé Roy, présumé coupable, rue de Petit Salut.

Aux sommations, Constant Roy ouvrit sa porte immédiatement. Il ne portait pas de chemise et ne semblait pas très étonné de cette visite nocturne. Sans sourciller, il demanda :
« Qu’est-ce qu’il y a de cassé ? »
Monsieur Prost évoqua la rue Frigory , à ce nom, Constant Roy pâlit, mais garda un flegme implacable. Même attitude détachée pendant la perquisition de sa chambre, demandant simplement après un moment :
« Puis-je bientôt disposer de ma chambre ? »
Quel aplomb tout de même, vous en conviendrez !

Que donna la perquisition  ?
- Dans une des poches de Roy, un carré de chemise, servant de mouchoir, taché de sang.
- Un gilet portant des traces de sang.
- Une chemise tachée de sang frottée aux deux poignets, aux manches et au col.
- Cinq morceaux de toile ensanglantée.
- Une serviette mouillée dans toute son étendue.
- Dans un seau et le pot de chambre de l’eau roussâtre.
- Une importante somme d’argent, cent-quarante-sept francs, étonnant pour quelqu’un qui n’avait pas le sou la veille, dont une petite pièce grecque.

Il n’en fallait pas plus pour faire de Constant Roy un suspect idéal.
Une confrontation sur place s'imposait. 

Amené sur les lieux du crime, et interrogé par Monsieur Masquin, commissaire central, Roy resta de marbre et nia être l’auteur de cet acte innommable, trouvant réponse à tout, que ce soit au sujet du sang sur ses vêtements, du sang sous ses ongles, des griffures sur ses avant-bras et de l’argent en sa possession. Même le tire-bouchon laissé sur le sol n’était pas le sien quoique lui ressemblant très fortement. 



Interpellation (mais d'un manifestant parisien !).
(CPA, Net)


Conduit ensuite au commissariat central, Constant Roy fut auditionné vers 7 h 30 du matin, par Monsieur Demartial, procureur de la République. Il persista dans ses déclarations, niant toute implication dans le meurtre pour lequel il se voyait accusé.
Pendant ce temps, dans le débit de boissons de la rue des Charrettes, gens de justice et de médecine se succédaient, afin d’établir des constats et faire l’autopsie du cadavre :
Monsieur Leguerney, substitut du procureur de la République.
Un juge d’instruction et son greffier.
Monsieur le docteur Cerné, médecin du parquet.

Constant Roy fut alors écroué à la prison de Bonne Nouvelle, Rouen rive gauche, dans l’attente de son jugement.



La prison de Bonne Nouvelle, Rouen, 1900
(CPA, Net)


Dans les rues Frigory et des Charrettes, voisins et amis de Jules Adolphe Dubuc étaient assemblés consternés. Non seulement, il y avait eu un meurtre près de chez eux, mais la victime était un brave homme, quelqu’un de serviable et d’honnête que chacun appréciait. 

Après l’autopsie, le corps du sieur Dubuc fut porté dans sa chambre.

Jules Adolphe Dubuc avait deux frères et une sœur qui habitaient Paris et une autre sœur, la veuve Auffray, qui demeurait à Bois-Guillaume, tous quatre furent prévenus.
On les attendrait pour procéder à l’inhumation.

Mais à présent était venu le temps de la presse. La couverture du crime fut à la hauteur de l'émotion qu'il avait engendré.



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La couverture du crime par la presse nationale


La presse nationale - ou parisienne - s'empara très tôt de l'affaire : 
- Le Matin et Le Petit Journal dès le 08 mai, 
- La Lanterne, La Liberté, La Petite Presse, Le Pays, Le XIXe siècle le 09 mai, 
- Le Parti Ouvrier le 10 mai,
- et encore L'Univers le 13 mai,
Tous ces journaux, et d'autres sûrement, ouvrirent leurs colonnes à l'affaire du crime de Rouen, un "fait divers" dont les lecteurs sont toujours friands !

Si pour l'essentiel, les articles se ressemblèrent, des incertitudes et manques nous arrêtèrent : les adresses étaient imprécises : rue des Charrettes, mais à quel numéro ? ... ou manquaient : ainsi du café Salles, non localisé, nous empêchant de bien comprendre les déplacements de Constant Roy et de son ami Henry.

Des différences apparurent également :
- On donna parfois 25 ans à Constant Roy qui en avait 27.
- Bien que Suisse, il fut aussi donné pour Belge.
- Enfin et surtout pour nous, il n'y avait pas de consensus sur la cause de la mort : les uns l'attribuèrent à la strangulation, les autres aux coups portés à l'aide d'un tire-bouchon.
Le Matin évoque ainsi la découverte, à côté du corps de Jules Adolphe Dubuc, d'un "tire-bouchons (sic) tout tordu et entouré de caillots de sang et de cheveux".

Mais si la plupart des journaux parlèrent de "tire-bouchon", La Petite Presse et Le Pays notèrent qu'il s'agissait d'un "foret servant aux garçons de café", tandis que Le Parti Ouvrier et Le XIXe siècle indiquèrent qu'il s'agissait d'un "foret de marchand de vins".
Ces précisions semblent convaincantes. L'utilisation des forets à déboucher correspondait alors à la pratique des garçons de café : les bouteilles de vin ordinaire servies dans les bars avaient un bouchon réutilisable, pas complètement enfoncé ; seuls les meilleurs vins, bien bouchés, nécessitaient l'usage d'un tire-bouchon.




Alors, tire-bouchon ou foret de marchand de vins ? 
Il semble bien que le plus contondant des deux est le foret !



Il nous manquait encore la version du quotidien local. Mais Françoise VERGNAULT avait retrouvé sur le site des archives départementales de Seine Maritime le Journal de Rouen. C'est, dès le 08 mai 1890, l'article le plus complet qui ait paru, probablement parce que le plus proche des sources policières ou judiciaires. 
Et cet article nous offre les informations que nous avions patiemment recherchées ailleurs, particulièrement les adresses des cafés et logements, et donc aussi l'itinéraire de la déambulation nocturne de Constant Roy.


Voici cet article remis en page, le format original étiré sur de longues colonnes ne permettant pas de le reproduire de façon un tant soit peu lisible (mais le lecteur peut agrandir chaque image à sa guise) :


Le Journal de Rouen, 08 mai 1890




"... Un instrument pointu qui lui entra profondément dans le cuir chevelu..."
"... un tire-bouchon très court à manche en corne complètement tordu..."



Du pseudo alibi à la perquisition...



"D'après le médecin légiste, M. Dubuc a été étranglé [...] 
une blessure faite derrière la tête à l'aide d'un tire-bouchon [...] 
Mais cette blessure n'aurait pas suffi à déterminer la mort."



Les faits établis par l'enquête de police, l'instruction serait rapide et le procès suivrait très vite...


(à suivre, semaine prochaine)


Cet article vous plait ? Réagissez et commentez !


2 commentaires:

  1. Bonjour Marc,
    J'espère que vous allez bien, toi et Eliane !
    Cette histoire d'un meurtre éventuellement exécuté avec un tire-bouchon ou un foret me fait rappeler un meurtre d'un journaliste portugais, à New York, em 2011, où le meutrier a eu recours à un tire-bouchon. C'est une histoire dont les gens sont, comme tu dis, très friands. Ce n'est poutant pas mon cas, mais, puisqu'il y a un tire-bouchon, si tu touves que cela peu mériter une petite recherche, on pourra peut-être en faire deux ou trois chapitres.
    Amitiés
    Tomás

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  2. Hello Tomás, bandit masqué !
    Merci pour ton commentaire sympa.
    Oui, le meurtre de Carlos Castro - au nom prédestiné ? - était une affaire sordide.
    Ce qui me dérange, c'est que l'affaire n'est pas très ancienne et que nous devons veiller aux familles concernées.

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